La vocation d’intellectuel d’Alberto Manguel prend racine dans son enfance, une enfance peu commune qui étonne à la lecture des entretiens menés puis retranscrits par un ami complice, Claude Rouquet des éditions de l’Escampette. La première langue du jeune Alberto ne sera pas celle de ses parents. Né en Argentine en 1948, de parents immigrants, il passe sa petite enfance en Israël où son père est nommé ambassadeur par le président Perón. À l’ambassade, il est élevé par sa gouvernante, Ellin Slonitz, issue d’une famille juive allemande, qui parle anglais et allemand, les deux langues que les Manguel estiment nécessaires aux gens cultivés. Eux parlent espagnol et un peu français, de sorte que le jeune Alberto n’entrera en communication avec ses père et mère qu’après la chute de Perón en 1955, au retour de la famille en Argentine où il fréquentera l’école pour la première fois et fera l’apprentissage de l’espagnol. Néanmoins Alberto Manguel dit revoir son enfance comme une période de grand bonheur. Unique objet d’attention d’Ellin, une femme cultivée qui lui parle comme à un adulte, il entre tôt en contact avec les livres et comprend tout jeune que les histoires imaginaires peuvent éclairer la réalité. Sans compter qu’avec Ellin, il fait des voyages à l’étranger et acquiert un grand respect pour les choses intellectuelles et artistiques.
Après des études secondaires dans la meilleure école d’Argentine et une adolescence relativement libre, il ne supportera pas l’enseignement formaliste de l’université qu’il quittera après la première année. Nous suivons alors le parcours d’un autodidacte qui occupe différents emplois, rattachés de près ou de loin au livre : libraire, éditeur, journaliste, lecteur d’épreuves, écrivain et conférencier. Les lieux, continents et pays où l’entraînent ces métiers, et ses rencontres avec des écrivains, éditeurs et artistes, servent de fil conducteur à cette série d’entretiens menés en 2007. Au cœur de ces rencontres, les livres et la littérature, auxquels sont rattachées des considérations sociales et politiques, des anecdotes également, susceptibles de rejoindre un large public.
À l’approche de la soixantaine, Manguel vient de se fixer pour la première fois et a enfin pu s’entourer de tous ses livres dans une bibliothèque construite selon ses plans avec les pierres d’un ancien château. Il a trouvé son port d’attache, son lieu de délices.