Le critique et historien du cinéma américain Richard Schickel nous propose, dans son dernier ouvrage, une conversation au long cours avec celui que beaucoup considèrent comme le plus important et le plus influent cinéaste de sa génération. Sans avoir connu le succès populaire et commercial de ses grands contemporains (Spielberg, Coppola, Lucas), Martin Scorsese a néanmoins bâti, au fil des années, une filmographie d’une puissance exceptionnelle et d’une étonnante diversité.
À lire ce que le prolifique et prolixe réalisateur dit de son cinéma, le lecteur comprend vite que, sous leur apparente disparité, tous ses films tournent autour des mêmes thèmes : l’identité italo-américaine, les notions chrétiennes de trahison et de rédemption, le machisme, la violence, la musique. « Je ne devrais pas dire que mes films n’ont pas d’intrigue, mais j’ai tendance à être attiré par les histoires accordant plus d’importance aux personnages », dit-il à son intervieweur. On serait tenté de renchérir. Plus que des personnages, Scorsese peint des ambiances, des milieux, des atmosphères. En particulier, le climat de la Petite Italie new-yorkaise où il fut très tôt aux prises avec la violence et la peur.
Selon le réalisateur de Raging Bull, deux influences ont été déterminantes pour lui. D’abord, les films hollywoodiens des années 1940 et 1950 qui enchantaient le petit garçon asthmatique qui, toutes les semaines, accompagnait son père au cinéma, et le cinéma d’auteur européen, celui des néo-réalistes italiens et celui de la nouvelle vague française en particulier, qu’il a découvert au moment de ses études en cinéma à la Tish School of the Arts de l’Université de New York.
Après s’être longuement attardées à l’enfance de Martin Scorsese, les conversations que nous propose Schickel suivent la chronologie des œuvres, de Mean Streets à Shuter Island. Chacun des films ne fait pas l’objet d’une analyse comme telle, mais sert de prétexte pour aborder un aspect de sa « fabrication » : l’apport des comédiens, la construction du scénario, les subtilités du montage, l’importance de la couleur et de la bande sonore, etc. De tout ça, on retient que chez cet obsessif rien n’est laissé au hasard.
Le seul bémol au plaisir que l’on prend à lire ces entretiens concerne le fait que ces deux passionnés font très souvent étalage d’une rare érudition cinématographique avec pour résultat que le lecteur se sent souvent laissé pour compte faute de partager le même niveau de connaissances. Conversations avec Martin Scorsese reste tout de même un livre passionnant qui permet de jeter un regard neuf sur l’œuvre d’un des cinéastes les plus singuliers de notre époque.