Au début, on reconnaît la thèse : les utopies, les fantasmes au sujet de l’homme à venir ont trop souvent été destructeurs. Lawrence Olivier a surtout en tête, évidemment, le communisme avec son goulag et le nazisme avec ses camps d’extermination. Les forces de l’espoir se renversent souvent en leur contraire. De là, l’histoire de la pédagogie, que l’on retrouve dans ce livre, surtout à partir du XVIIIe siècle afin de montrer qu’on a toujours cru l’homme perfectible : une sorte de pâte malléable qu’il faut diriger vers des fins hautement dignes et nobles. On voudrait amener l’homme à sa destination, alors que celle-ci n’existerait pas. Il n’y a pas de nature humaine. Ce qu’on appelle civilisation s’invente au fur et à mesure, donc tout est aléatoire. Dieu n’existe plus. Aucune idée supérieure ne tient debout : dignité humaine, justice, pacifisme même les droits de l’homme.
Fort de ce constat, l’auteur commence à déraper. Il s’inspire beaucoup de Schopenhauer, Nietzsche, Heidegger, Cioran et va beaucoup plus loin qu’eux dans leur descente vers le nihilisme. Par exemple, chez Schopenhauer et Nietzsche, le vouloir-vivre demeurait une vérité fondamentale qui devait par la suite se manifester à travers la création, que ce soit celles d’œuvres ou même de sa propre vie. Mais Olivier détruit tout cela. Nietzsche disait qu’il fallait rester fidèle à la terre. Olivier détruit « afin que rien ne reste ». La création ne saurait sauver l’existence de sa nullité. « Toutes les idées se valent. Aucune ne possède une valeur de vérité. » L’équité, la justice ou l’extermination d’êtres humains, tout cela revient au même. Même le nazisme se justifie en quelque sorte.
Que faut-il faire ? Rien ! Cultiver une indifférence qui serait moins dommageable. Mais pourquoi donc a-t-il écrit ce livre dédié à Tristan et à Félix ? Expliquer une telle contradiction relève de la psychologie. L’idéal implicite derrière tout ça : devenir des végétaux ! Le bateau humain coule et Olivier accélère le naufrage. Décevant de la part d’un professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal. J’aurais aimé dire du bien de ce livre, mais c’est très difficile.