Alors que la liberté de diffuser de l’information et d’avoir accès à celle-ci a été considérée comme une pierre angulaire d’Internet depuis ses débuts, il faut se rendre à l’évidence qu’elle se heurte, dans les faits, à de puissantes stratégies de surveillance, de censure et de propagande étatiques et privées.
Bien avant l’arrivée d’Internet, les États et les pouvoirs en place ont voulu exercer un contrôle de l’espace public. Dès l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles par Gutenberg, vers 1440, la possibilité que soient diffusées plus facilement et efficacement de l’information et des idées subversives a interpelé les autorités. Des mesures propres à limiter cette capacité ont rapidement été instaurées. Même pendant des périodes où la liberté d’expression a pu momentanément bénéficier de plus de latitude, comme aux débuts de la Révolution française par exemple, les nouvelles autorités étatiques n’ont pas tardé à établir des mesures de contrôle plus serrées afin de protéger la raison d’État, notamment en cultivant le secret ou la dissimulation.
À l’arrivée de la cybernétique, puis de l’informatique, malgré l’espoir utopique de démocratisation de l’information originalement suscité, c’est plutôt une orientation dystopique orwellienne qui s’est mise en place. Les recherches touchant ces nouvelles technologies prometteuses au niveau du libéralisme informationnel, dont on voulait doter Internet, ont été intégrées au complexe militaro-industriel au début de la guerre froide. Cette orientation a notamment été dénoncée par Norbert Wiener, un acteur majeur de la nouvelle philosophie politique considérant la libre circulation de l’information comme le fondement de l’autonomie politique.
En complète opposition avec cette philosophie, la technologie a pu servir à espionner les citoyens américains, par exemple dans ce qui a donné lieu au scandale CONUS Intel, à la fin des années 1960. Toujours, les mêmes enjeux s’affrontent lors de la dématérialisation de l’économie et de la création de grands réseaux de banques ou de multinationales. Et il en va bien sûr de même à l’arrivée de Google.
Félix Tréguer offre dans sa contre-histoire une étude extrêmement approfondie et bien documentée des préoccupations relatives à la libre information, de Gutenberg à Internet.