Comme si ce bouquin n’atteignait pas à lui seul une masse impressionnante, on nous avise qu’il n’est que l’avant-garde d’une anthologie encore plus copieuse. Dilution ? À en juger par ce premier volet, certes pas. Aurélien Boivin présente un choix éminemment personnel d’auteurs et de textes, mais fort peu des éléments retenus mériteraient le rejet. Sous réserve de quelques entrées prématurées dans la célébrité, Boivin pourrait contresigner ce qu’écrivait Jean d’Ormesson en présentant ses deux listes de quarante belles plumes : « Tous les écrivains qui figurent dans cet ouvrage sont de bons écrivains. Tous les bons écrivains figurent-ils dans cet ouvrage ? Bien sûr que non » (Une autre histoire de la littérature française, Nil, 1997). Boivin mérite d’autant plus les mêmes circonstances atténuantes que, contrairement à d’Ormesson, sa sollicitude s’étend non pas seulement (!) à la littérature, mais à presque tout l’écrit relatif à l’île de Montréal.
Les incontournables sont là : Gaston Miron, Jacques Ferron, Ringuet, Michel Tremblay, Marie-Victorin, Hubert Aquin, Yves Thériault, Jacques Brault, Sol, Nelligan, Jean Narrache… Un deuxième cercle comprend des auteurs qui, eux aussi, mériteraient de franchir le seuil du renom indiscutable et qui n’en sont empêchés que par l’exiguïté de notre hospitalité. Je pense ici à Monique LaRue, à André Belleau, à Paul Chamberland, à Jean-Claude Germain, à Jean Marcel, à Marcel Godin, à Esther Rochon… Autant de noms qui confirment la justesse de la sélection.
Aurélien Boivin va plus profondément : des auteurs retenus, il isole des textes particulièrement significatifs et, donc, pas toujours les plus familiers. La référence à l’île de Montréal sert de sas, mais aussi l’originalité de la perspective, l’inattendu de la chute, la clairvoyance de l’intuition. D’Hubert Aquin, il présente le regard acéré sur la place Ville-Marie ; de Michel Tremblay, la gaffe du jeune porteur du cadeau de noces ; de Ringuet, l’incohérence méthodique de la signalisation ; de Belleau, un « marcheur des rues » qui peine à voir Montréal… Cette liberté de Boivin l’amène enfin à payer tribut à des auteurs que la critique néglige quelque peu, mais dont le public connaît la valeur : André Berthiaume, André Carpentier, Diane-Monique Daviau…
Une révision plus attentive éviterait, par exemple, que Martine Léveillé devienne Marielle Léveillée dans la table des matières.