Paul Auster est aujourd’hui un écrivain reconnu, et fort en demande. En témoignent les préfaces rédigées pour diverses publications, les conférences prononcées pour le PEN club, les collaborations à des revues prestigieuses, regroupées ici sous le titre Constat d’accident et autres textes. On pourrait bien sûr s’interroger sur la pertinence de regrouper des textes à première vue aussi disparates, destinés à des publics aussi variés que les lecteurs du New York Times Magazine, du quotidien allemand Die Zeit, ou aux lecteurs d’une anthologie de poèmes surréalistes. Mais la réponse s’impose rapidement d’elle-même : qu’il parle de littérature, d’art, de hasard, d’amitié, de politique, des événements survenus le 11 septembre 2001, Paul Auster s’efforce toujours d’épouser un point de vue qui force le lecteur à élargir son champ de vision, à voir au delà des apparences, quitte à lui faire adopter une position instable.
L’un des passages du texte éponyme illustre bien ce parti pris du plus français des auteurs américains, comme on aime à qualifier Paul Auster, en vue de forcer les paradigmes dans lesquels nous avons tendance à nous enfermer trop souvent. Paul Auster y relate une anecdote au sujet d’une jeune femme qui vient simultanément de perdre son emploi, d’apprendre que l’une de ses meilleures amies vient d’être assassinée, et qui n’a pas la somme requise pour faire soigner son chat gravement malade. À première vue sans lien aucun, ces différents éléments s’additionnent et de cet amalgame émerge une solution que nul n’aurait été à même de prédire. « Un jour où elle circulait en voiture dans la Mission, elle s’arrêta à un feu rouge. Son corps était présent, mais ses pensées étaient ailleurs et dans l’intervalle, dans ce petit espace que nul n’a exploré à fond mais où nous vivons tous de temps à autre, elle entendit la voix de son amie assassinée. Ne t’en fais pas, disait la voix. Ne t’en fais pas. Tout va s’arranger bientôt. »
Il faut lire ces textes de la même manière. Surviendra immanquablement le moment où, de la chaîne d’anecdotes qui y sont relatées, une voix s’imposera tout naturellement. Une voix que les lecteurs de Paul Auster savent aussitôt reconnaître.