« Je voulais ne pas écrire de poésie, pour ni délirer, ni lyriciser. » Tel est le premier vers de la déclaration d’intention d’Éric Charlebois dans son nouveau recueil poétique, Compost-partum. Ce désir étant paradoxal, voyons du moins si l’auteur réussit à ne pas délirer, ni lyriciser. Si l’on conçoit le délire comme celui d’un vates qui prophétiserait l’avenir de l’humanité, il y parvient parfaitement. Ce qui l’intéresse, c’est le rapport intime à l’autre, dans tous les rôles essentiels : mère, père, fils, amant. Quant au lyrisme, le néologisme péjoratif « lyriciser » montre clairement que l’écrivain se méfie des grandes envolées qui caractérisent ce genre. Pourtant le danger était bien présent. Les thèmes abordés, liés à la vie personnelle, appartiennent au registre lyrique. Le post-partum est associé à la tristesse qu’éprouve la femme qui vient d’accoucher. Mais le néologisme qui constitue le titre Compost-partum a une connotation sale, pour ne pas dire trash. La deuxième raison qui détournait Éric Charlebois de la poésie était sa crainte de dévoiler ses émotions, sa psyché. « Je voulais ne pas écrire de poésie, pour ne pas être radiographié. » Certes, la radiographie est parfois difficile à lire. Cependant, il est possible de reconstituer une partie de l’autobiographie de l’auteur, même si les événements se télescopent. La première partie du recueil, intitulée « Ombillico », renvoie à l’enfance : « Nouer ses souliers sous les soupirs réitérés, après / avoir trébuché dans le / cordon ombilical ». Les rapports avec la mère ne sont pas faciles : « Je lui répondais qu’elle allait m’aimer, peut-être ». Le père est absent : « Nous pourchassons le père qui a fui ». L’écrivain suppose ironiquement qu’il a été conçu par parthénogénèse. Devenu adulte et vivant en couple avec une femme, il commence par refuser la paternité : « Je ne voulais pas d’enfant pour ne pas que je / devinsse encore plus infantilisable, à ses yeux de / crocodile ». Dans la deuxième partie, « Extrusion », le poète se décrit comme « un rescapé de l’enfance ». Il trouve difficile de « [d]evenir homme de la maison sans avoir été petit / gars ». Dans la troisième partie, « Incubarateur », il est difficile de ne pas imaginer que sa conjointe a mis au monde un bébé prématuré, un gnome rose qui ne survivra pas. « Faire l’amour et avoir fait un enfant sont deux / événements ; / le garder et lui donner naissance, deux exploits. » Dans la quatrième partie, « Émanescence », l’écrivain revient sur cet épisode pénible : « Je croyais dur comme fer / fondu / que je serais un mauvais père. / J’aurai eu tort : je ne serai pas père ». La culpabilité est très présente dans le recueil. Le poète se considère comme un « mauvais conjoint » et la relation finit « dans le sucre à glacer du / gâteau de / divorce ». Éric Charlebois manipule, avec l’habileté d’un prestidigitateur, pour le plus grand plaisir du lecteur, les figures de style. Il considère que « l’amour est un néologisme » et se dit « sensibilisé à la futilité du pléonasme aimer sa mère ». Il a beau utiliser l’humour comme une technique d’auto-défense, cela n’empêche pas la poésie de jaillir comme par surprise : « L’enfance est belle, quand l’écho des rues nous la / transmet, un beau soir / hors saison ».
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