Ce petit livre tombe pile : il ragaillardira ceux que dépriment les tonitruantes offensives de la droite. Non, dit Jean-François Lisée, ce n’est pas vrai, n’en déplaise aux lucides autoproclamés, que le Québec est le champion de la paresse, de la stérilité, des impôts écrasants, du fonctionnarisme obèse… Statistiques au poing, Lisée abat à une cadence jouissive une quinzaine de mythes inventés ou colportés par le courant néolibéral. C’est la partie la plus solide du bouquin, les quelques gestes suggérées en fin d’ouvrage ne recevant ni l’approfondissement ni les étais souhaitables.
Dans l’ensemble, les mythes que pourfend Lisée sont à ce point intégrés aux opinions courantes qu’on les tient pour acquis. Pourtant, la consultation des données aisément disponibles suffit à en étaler la fragilité. Sans que Lisée insiste sur la chose, une triste alternative s’impose alors : ou médias et élus baignent dans l’ignorance, ou ils prennent plaisir et profit à nous remplir comme des cruches. Aucune des hypothèses n’est glorieuse.
D’entrée de jeu, Lisée s’attaque à une affirmation répandue : le Québec serait économiquement médiocre. Attention, conseille l’auteur. Entre 2001 et 2011, le PIB par habitant (précision névralgique) a progressé au Québec plus rapidement qu’aux États-Unis, au Canada et dans les pays du G-7 à l’exception de l’Allemagne. Deux mythes plus loin, Lisée constate que le taux d’activité des personnes de 15 à 64 ans en 2009 est marginalement inférieur au Québec à celui du Canada, mais qu’il l’emporte sur celui des États-Unis, de l’Allemagne et du Japon. Les autres mythes subissent des dégonflements analogues.
Deux bémols cependant. D’une part, l’usage que fait Lisée de certaines statistiques confirme l’adage : comme le prisonnier, les statistiques bien torturées avouent ce qu’on veut. La distorsion préférée de Lisée concerne la partie neutre de l’opinion. Quand, par exemple, 26 % des Québécois (sondés) déclarent que la situation québécoise est « moins avantageuse » que celle des autres nations, que 51 % la jugent comparable et que 21 % l’estiment meilleure, Lisée conclut que 71 % des Québécois résistent aux Cassandre de la droite. L’opposant pourrait arguer que 77 % endossent le pessimisme.
D’autre part, même s’il s’abreuve aux études de Pierre Fortin, ce qu’il reconnaît d’ailleurs honnêtement, Lisée insiste peu sur leur message clé. C’est, en effet, à partir du discours du budget prononcé par Jean Lesage le 12 avril 1962 que Fortin a évalué la performance économique du Québec au cours du dernier demi-siècle. Ouvertement volontariste, Lesage y circonscrivait quatre objectifs. Québec les a-t-il atteints ? Oui, a répondu Fortin lors d’une conférence prononcée à la Grande Bibliothèque (La Révolution tranquille en héritage, Boréal, 2011). Autrement dit, là où Lisée aligne des chiffres réconfortants, Fortin privilégie le vouloir qui a conduit à ces résultats. Non pas opposition, mais différence d’accent.