L’humour tue, il tue bien et il est immoral. Tom Sharpe, qui le sait, use de ses armes avec brio et sans état d’âme. Il crée des antihéros aux désirs coupables qui les mènent jusqu’au meurtre, au bout d’un périple dévastateur qui les détourne de ce qui est bien. Ces personnages-là sont cruels et n’attirent pas la sympathie du lecteur, même si, parfois, à cause de la cruauté de leur destin, il peut compatir, tout en se méfiant, à leurs malheurs. Le monde qu’ils habitent est mauvais, il se déglingue en quelque sorte jusqu’à la déliquescence. L’auteur prend plaisir à nous montrer comment ce monde court à sa perte et comment ses créatures se détruisent. Ici, nulle compassion, nulle pitié. Tom Sharpe fonce comme un bolide, accrochant tout au passage avec une jubilation sadique.
Wilt, son antihéros pitoyable, a fait le choix de rester en Angleterre plutôt que de suivre son épouse Eva et ses quadruplées en Amérique, chez l’oncle Wally. Ça lui coûtera cher. Pendant que ses femmes, là-bas, à Wilma, Tennessee, sèment la terreur et la discorde, Wilt est emporté dans une série d’aventures rocambolesques où il fraie, malgré lui, avec des tueurs, des personnages sans foi ni loi et des policiers qui n’ont aucune sympathie pour sa personne et qui aimeraient bien lui mettre sur le dos tout le mal qui arrive. C’est d’une grande cruauté et c’est souvent drôle. Mais on est porté parfois à frémir d’horreur, à trouver ce monde romanesque bien noir, malgré le rire, malgré l’humour. On se demande si c’est bien le même monde dans lequel on vit, et puis, réflexion faite, on peut croire que oui, c’est le même monde. Le pire est là. Tom Sharpe a peut-être frappé juste. Les romanciers ne sont jamais loin de la vérité.