La guerre est une chose, combattre en est une autre. Les livres qui traitent des grands conflits abondent, et le lecteur intéressé par les aspects historiques, stratégiques ou simplement militaires y trouvera aisément son compte. Mais qu’en est-il du combat en lui-même, de la réalité du soldat placé en première ligne, devant les armes de l’ennemi ? Bien entendu, il existe des ouvrages qui recueillent les récits ou la correspondance des soldats au front, mais rares sont ceux qui traitent de l’aspect du combat sous l’angle anthropologique. C’est pour cette raison que l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau se penche sur la réalité du soldat plongé dans l’enfer de la bataille, soulignant au passage « le manque d’intérêt des sciences humaines pour la guerre examinée au ras du sol, à travers ses pratiques de combat, ses gestuelles et les représentations de ses acteurs ».
Dans les deux premières sections du livre, l’auteur se penche sur les écrits de sociologues, d’anthropologues et d’historiens, avec une nette préférence pour les auteurs ayant un vécu de soldat. Paradoxalement, alors que plusieurs dizaines de millions d’Occidentaux ont fait l’expérience de la guerre dans son sens le plus violent, Audoin-Rouzeau constate une « forme d’hypermnésie particulière chez ceux qui en ont traversé les épreuves et y ont survécu », comme c’est le cas chez le sociologue Norbert Elias.
La troisième section du livre est consacrée à l’analyse de l’acte de combattre sous l’aspect de la « physicalité du fait guerrier ». Tout est analysé : les tactiques de combat, les armes et objets des soldats, l’incidence des lieux sur les combats, l’importance des trophées de guerre, l’uniforme, etc. Il faut dire que la technologie change la façon de combattre du soldat : alors qu’au XVIIIe siècle, le soldat se tient fièrement debout devant l’ennemi, au début du XXe, il doit se terrer pour tenter d’éviter le déluge métallique des armes automatiques.
Facile d’accès pour les non-initiés à l’anthropologie, cette superbe synthèse, accompagnée de nombreuses références en bas de page pour permettre au lecteur de poursuivre la lecture dans la direction désirée, abonde dans le sens de l’avertissement de Pierre Clastres qui affirme que « se tromper sur la guerre, c’est se tromper sur la société ».