Doublement diplômé en littérature et en cinéma, Étienne Goudreau-Lajeunesse signe un premier livre dont le titre pourrait laisser présager des textes gravitant autour du cochon – au sens propre et au sens figuré. Il est vrai, la nouvelle qui ouvre ce recueil, tout comme celle qui le conclut, propose de suivre le parcours d’un porc, de son élevage en enclos jusqu’à sa transformation en plat de résistance offert dans le cadre d’un festin familial.
Mais pour ce qui est du reste, l’auteur enchaîne des récits qui s’éloignent visiblement du paradigme porcin. Il s’intéresse ainsi au passage d’une tempête dans un vignoble et à une dérive en mer donnant la frousse à une baigneuse. Il raconte l’histoire d’un fils qui hérite de la propriété de son père potier et celle du délire naturaliste d’un peintre devant un insaisissable paysage charlevoisien. Il décrit les actions de deux jeunes militantes montréalaises, nous conduit dans les profondeurs d’une tourbière où un professeur croit rêver en entrant en contact avec une plante carnivore, traite de l’accident de motoneige d’un adolescent téméraire et se penche sur le cas d’un enseignant de littérature au collégial qui rompt avec la société pour s’engager dans un mode de vie de réclusion. Bref, rien qui ne correspond aux silhouettes de bétail apparaissant dans un clair-obscur prononcé sur la page couverture.
Ces « cochoncetés » auxquelles Goudreau-Lajeunesse fait allusion se situent ailleurs que dans l’unique milieu souillé d’une porcherie. Par la dizaine de récits qui composent le recueil, le nouvelliste scrute l’obscénité d’un monde où le fumier malodorant et la bonne terre nourricière ne font qu’un, où le gros plan révèle souvent ce qu’une vue d’ensemble rendrait impossible à saisir. Par une plume qui fonctionne telle une lentille grossissante, il parvient à dévoiler l’abject détail camouflé derrière les apparences ; aussi fait-il fréquemment s’entremêler le caractère strictement biologique du réel et sa dimension abstraite. En fait, par son regard aiguisé, il arrive à décortiquer l’infiniment petit d’un univers dont la dépravation n’a d’égal que l’infinie grandeur de sa sottise.
Au cœur de ces courtes fictions, comme autant d’acteurs captifs d’un environnement entraînant la désolation se succèdent des personnages enivrés par une force qui paraît les dépasser, des personnages exaltés par les lipides d’un copieux repas, des êtres grisés par une rage qui incite à tout détruire, enfiévrés par l’acte de créer, transportés par l’adrénaline de frôler la mort ou par la beauté presque malsaine de la nature. En somme, grâce à des textes qui suggèrent davantage qu’ils n’affirment, l’auteur aborde les thèmes qu’il exploite avec nuance et finesse. Un premier livre réussi !