Beaucoup de mélomanes ignorent qu’il y a eu longtemps, à Québec, une grande tradition de l’orgue, et pas seulement dans ses dimensions liturgiques ou religieuses : plusieurs adeptes de différentes générations voyaient la musique pour orgue comme une porte d’entrée privilégiée à l’univers du classique, au sens le plus noble.
Les organistes ont souvent une longévité exceptionnelle et plusieurs, comme le compositeur français Jean Guillou, sont devenus nonagénaires.
Originaire de Sorel, Claude Lagacé (1917-2019) a été organiste titulaire à la Basilique de Québec de 1961 à 1993, mais également maître de chapelle et professeur de musique. Après avoir étudié auprès d’Henri Gagnon (1887-1961), organiste très influent, Claude Lagacé lui emboîta le pas et devint à son tour un musicien remarqué et un enseignant exigeant. Hélas pour lui, Claude Lagacé a été obligé d’entreprendre sa carrière dans des lieux perdus : à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, puis aux États-Unis, notamment à Toledo, en Ohio. C’était néanmoins l’époque où la ville de Québec figurait sur le circuit des grandes destinations des organistes en tournée, comme le confirme la venue du compositeur français Joseph Bonnet en 1941.
Certains passages de ce livre étoffé pourraient s’apparenter à une « histoire de l’orgue à Québec » tant celui-ci contient des éléments reliés à la vie musicale, par exemple la fondation des Amis de l’orgue de Québec ou la création d’une œuvre pour orgue de Roger Matton, Tu es Petrus (à ne pas confondre avec une œuvre homonyme de Franz Liszt). Des organistes légendaires, comme Marie-Claire Alain et Jean Cochereau, ont pu se produire à Québec. Claude Lagacé mettait immanquablement au programme de ses récitals des œuvres de Bach, mais il y inscrivait également des créations profanes et des compositeurs contemporains. L’un de ses concerts, donné à Québec et radiodiffusé sur les ondes de CHRC en 1962, incluait une œuvre audacieuse d’Olivier Messiaen, Apparition de l’Église éternelle.
Bien qu’il s’agisse d’un livre signé par Jacques Boucher, en collaboration avec Anne Rogier-Lagacé, certains textes et lettres de Claude Lagacé sont ici reproduits, notamment des passages de ses ouvrages. Les coauteurs ne passent pas sous silence certaines missives et des lettres ouvertes envoyées aux quotidiens pour dénoncer l’incidence négative de la critique montréalaise (surtout dans Le Devoir) à propos du théâtre et de la musique classique : « […] le rôle essentiel du critique est d’instruire le public en lui donnant des critères objectifs lui permettant d’apprécier les points forts d’une œuvre et d’en reconnaître les faiblesses », martelait Claude Lagacé en 1988. L’ouvrage est abondamment illustré : par une centaine de photos rares, mais aussi par des programmes de concerts, coupures de journaux, morceaux choisis d’une correspondance intempestive et fac-similés de manuscrits. On y trouve même de brefs extraits de deux lettres inédites envoyées par la jeune Anne Hébert à Claude Lagacé en 1937.