Quatrième livre de l’historien du cinéma Alain Weber, cette histoire parallèle de la vie cinématographique française est passionnante à plus d’un titre. L’auteur nous démontre qu’il existait dans la première moitié du vingtième siècle une multitude de réseaux distincts qui programmaient, à Paris et aux environs, des films subversifs, d’avant-garde ou simplement engagés politiquement. C’était l’époque des ciné-clubs (déjà dans les années 1920 ! ) et de la Salle Lénine à Paris, où des ouvriers assistaient en grand nombre à des séances d’agit-prop et à des films soviétiques. Le cinéma hollywoodien n’avait pas encore totalement dominé les écrans de France, et l’on assistait à une véritable effervescence culturelle, surtout durant les années 1920. Les surréalistes fréquentaient les cinémas ; Luis Bunuel et Jean Cocteau tournaient en toute liberté leurs premiers films grâce à la générosité de mécènes ; Antonin Artaud était acteur au cinéma. En 1937, Joris Ivens tourne Terre d’Espagne et André Malraux réalise en 1939 son unique film, L’espoir.
Alain Weber décrit cette période avec beaucoup de précision, dans un style érudit et vivant. Son livre illustre de manière remarquable comment le cinéma pouvait (et pourrait encore) servir d’outil de conscientisation et d’engagement social, alors que des syndicats projetaient Les temps modernes de Chaplin à des ouvriers du secteur métallurgique, en 1938. L’auteur décrit minutieusement les usages aujourd’hui révolus du film et identifie des réseaux de visionnement et de diffusion de la culture que nous n’utilisons désormais plus. On comprend que l’histoire du cinéma n’est pas uniquement faite d’œuvres, mais qu’elle est aussi faite de pratiques culturelles et de réseaux de diffusion qui déterminent ce que les spectateurs verront ou ne verront pas. Comme toujours, les livres d’Alain Weber se démarquent de l’histoire officielle, car ils ajoutent ces précieuses dimensions oubliées, celles de la contestation et de l’utopie.