Comment réagiriez-vous, fille unique, orpheline de mère, si un jour de novembre – alors que votre père vient de vous transmettre sur votre cellulaire des photos de la Floride où il dit être parti en voyage – vous receviez un appel de la maison funéraire vous demandant d’aller chercher l’urne contenant ses cendres ?
Une autre de ses mauvaises blagues, de se dire la quinquagénaire qui n’a jamais apprécié l’humour de son père, lequel, entre autres excentricités, lisait jadis à l’enfant des modes d’emploi en guise de contes. À cette tension entre eux s’était ajoutée la déception du père, ingénieur passionné, de voir sa fille choisir la comptabilité plutôt que de suivre ses traces. En dépit de ces divergences, père et fille s’aimaient tendrement sous le couvert d’une grande pudeur. Cette pudeur qui se dissimule sous un humour loufoque tout au long du roman. En effet, l’histoire, originale par la succession d’actions et de réflexions saugrenues qui la tissent, est racontée par l’héritière Ève, souvent maladroite, qui use de l’hyperbole, façon dirait-on de camoufler son émotivité.
Jacques Leroy a confié à un jeune notaire champion de planche à neige le soin de remettre à sa fille une vidéo dans laquelle il explique pourquoi il a gardé secret le cancer dont il est atteint et sa demande d’aide médicale à mourir, sans la prévenir de la date de son rendez-vous avec la mort. S’il avait trouvé pénible tant pour lui que pour son père la déchéance de ce dernier, sa fille, elle, prend très mal le fait de n’avoir pu l’assister. Une autre surprise de taille l’attend : parmi les legs testamentaires, celui de devoir s’occuper d’Émile, le demi-frère de Jacques, qu’elle connaît à peine. Ce qui nous vaudra une incursion dans la résidence Colibri, où vit Émile en perte d’autonomie. D’abord réfractaire à l’idée de visiter l’actuaire atteint de la maladie d’Alzheimer, Ève se laisse prendre au jeu. La narratrice aime les règles et les certitudes au point d’être passionnée par les dictées et les colonnes de chiffres. En revanche, elle se méfie des émotions. Habituée à ne s’occuper que d’elle-même après avoir rompu avec deux conjoints successifs, elle est la première étonnée d’observer le changement chez elle. Jusqu’où cela la mènera-t-elle ?
Histoire originale s’il en est, racontée avec un humour déroutant mais jamais vulgaire ni choquant. Par les thèmes de l’aide médicale à mourir, du cimetière, de la perte d’autonomie et des résidences pour aînés, Cimetière avec vue s’avère touchant en dépit du recours excessif à l’hyperbole. Quant à l’autrice, Françoise Cliche, elle se démarque par son parcours éclectique, son imagination et son humanisme.