« D’un œil, observer le monde extérieur. De l’autre, regarder le fond de soi-même. » Cette citation de Giacometti choisie comme épigraphe présente on ne peut mieux l’esprit de ce carnet de voyage au Japon : attention portée aux lieux et paysages et présence à ce que cet ailleurs évoque en soi, réflexions, souvenirs, liens avec de nombreuses œuvres littéraires et cinématographiques. Et comme l’écrivaine s’adonne avec ses compagnes à l’écriture de haïkus, elle en intègre ici et là, prises de vue instantanées : « [A]utour d’une table / s’affairent six haïkistes / Bashõn’est pas mort » . Hommage au poète qui a renouvelé le haïku, lui donnant sa forme actuelle de cinq, sept et cinq syllabes.
C’est la saison des cerisiers en fleur. Le récit suit l’itinéraire du voyage, de ville en ville, de Hiroshima, marquée par le spectre de la bombe, les victimes innocentes d’atrocités infernales, mais aussi par la résilience des Japonais qui ont tôt fait qu’« [u]ne cité verte a surgi des cendres », jusqu’à Tokyo, qui apparaît à l’auteure la plus américaine des villes japonaises. Comme il se doit dans l’archipel nippon, la voyageuse et ses neuf compagnes visitent des temples bouddhistes avec leur statue de Bouddha et des sanctuaires shintoïstes reconnaissables à leur portique couleur corail et, pour certains, par la présence de daims sacrés en liberté qui circulent parmi les touristes. Bouddhisme et shintoïsme, deux philosophies aux rites bien ancrés dans la culture japonaise. Les voyageuses passent une nuit dans un monastère perché sur une montagne. Elles dorment à l’occasion dans des ryokan, ces auberges traditionnelles qui offrent le dépaysement aux Occidentaux : bains d’eaux thermales, port du yucata (kimono de coton), tatamis couvrant le sol, repas à la japonaise sur des tables basses accompagnés de saké.
Tout compte fait, ce qu’offre de singulier Ciel de Kyōto,outre les haïkus, tient aux bribes d’histoires à propos des dieux ancestraux, aux renseignements sur la biographie de certains auteurs japonais, aux références littéraires, aux réflexions sur l’art et aussi aux allusions à la vie personnelle de la voyageuse. La pensée des siens est toujours présente, sa mère, notamment, morte quinze jours avant son départ, mais aussi la scène politique d’ici. Un chapitre intitulé « Lendemain de tempête » fait état du dépit, au sein du groupe de femmes, face au résultat des élections de la veille alors que Pauline Marois perdait son poste de première ministre et de députée. Par ailleurs, quelques commentaires sur les Japonais soulignent leur réserve et la distance qu’ils gardent à l’égard des étrangers. Quant au poids de la tradition, Danielle Dubé illustre comment elle rejoint le visiteur, quoique de façon plutôt anodine, mais représentative de l’être social japonais : accueillie à l’hôtel à Takayama par les courbettes du maître d’hôtel et de ses acolytes en kimono, elle écrira, le soir venu : « Je n’en peux plus de cette préciosité féodale, de cette politesse extrême héritée de hautes cours ».
En dépit de réserves sur l’attachement aux mythes fondateurs et aux traditions d’un autre âge, l’auteure du Ciel de Kyōto, à l’évidence, revient enchantée de l’empire du Soleil-Levant.
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