François Ricard publie aujourd’hui en livre des textes qui ont d’abord paru dans la revue parisienne L’Atelier du roman, « au cours des dix dernières années ». Dans son « Avertissement », il estime que le loufoque est de nos jours la « catégorie moderne » qui « convient le mieux au monde dans lequel nous voici tenus de vivre ». I1 n’a dès lors d’autre ambition que de faire découvrir aux lecteurs, « par des aperçus furtifs, […] cette rencontre unique du risible et du pitoyable ».
Le chroniqueur accorde une place privilégiée au milieu universitaire et à la littérature en particulier : pas moins de 15 de ses 19 articles touchent en effet, en tout ou en partie, à cette réalité qu’en tant que professeur il connaît bien. Sont ainsi dénoncés, souvent avec couleur, le « virage technologique » de « l’université nouvelle », les « prétendues recherches des savants (à qui leurs théories apprennent d’avance ce qu’ils vont trouver) », les « diarrhées stylistiques et [le] minimalisme constipé » de « la production romanesque actuelle », le « bavardage savant [de] la critique littéraire » d’aujourd’hui, la « quincaillerie de la ‘poétique’ et de la théorie littéraire contemporaines », la « rencontre festive de l’exhibitionnisme et de la propension grégaire » qui règne lors des « bacchanales touristico-citoyennes » que sont devenus les festivals de poésie…
On lira tout particulièrement de ce point de vue un bref morceau de six pages, qui confortera les uns et exaspérera les autres : « La mémoire courte », consacré à la révolution méthodologique (« scientifique ») opérée par le formaliste Tzvetan Todorov. On découvrira encore avec un ahurissement grandissant l’« Histoire d’une blague » où le chroniqueur étale au grand jour les « bavure[s] » de trois professeurs d’« universités reconnues » (l’un de l’Ouest canadien et deux Américaines) à propos d’un pastiche que François Ricard lui-même avait fait d’un texte de Gabrielle Roy : l’auteur y stigmatise la « paresse » et la « frime méthodologique et théorique » de la critique des trois « spécialistes ». À un humour régulier et décoiffant, François Ricard ajoute souvent en fin de chronique une réflexion inattendue qui rappelle les heureuses chutes en guillotine de bon nombre des nouvelles de Guy de Maupassant.
Par la prégnance du monde littéraire et universitaire, les Chroniques d’un temps loufoque ne laissent pas d’évoquer le désopilant et féroce roman de l’Anglais David Lodge, Small World (1984 ; Un tout petit monde, 1991), qui avait été retenu à l’époque pour la sélection du Booker Prize.