Le fascinant récit d’un ancien membre de l’équipe « SWAT » de Belgique
L’Escadron spécial d’intervention (ESI) est un peu l’équipe SWAT de la Belgique. C’est l’équipe policière d’élite à qui on fait appel dans les situations les plus complexes : prises d’otage, terrorisme, etc. Lionel D. en a fait partie une quinzaine d’années, puis a démissionné pour des raisons de santé psychologique. Il tenait toutefois à laisser un témoignage sur cette équipe qui, par définition et par nécessité, reste toujours dans l’ombre. « Puisque mes collègues sont tenus au mutisme, je veux être leur voix, et livrer l’histoire de cet univers fermé. De notre formation, impitoyable. […] De la charge nerveuse associée à la chasse aux terroristes et à l’omniprésence du danger. De cette tension extrême qui nous écrase jour après jour, et dont le monde extérieur n’a pas la moindre idée. »
Le récit commence par une description détaillée de l’entraînement d’enfer que doivent subir ces durs à cuire : six mois à se faire crier dessus, à se faire taper dessus, à aller au bout du bout du bout de leurs forces et de leur endurance physique et psychologique, et même à frôler la mort (on ne leur a pas épargné le supplice de la noyade, le fameux waterboarding de Guantanamo – bien que cette épreuve ait été retirée du programme depuis). Le but n’est pas seulement le développement des capacités : c’est aussi l’épreuve elle-même. En effet, une petite fraction des aspirants seulement iront jusqu’au bout ; ceux-là sauront que leurs futurs coéquipiers sont de la même trempe qu’eux, de ceux qui n’abandonnent pas, conviction indispensable pour affronter en équipe les situations extrêmes qui les attendent.
Dans un premier temps, « Lio » s’attaque avec son équipe au grand banditisme. Les missions sont périlleuses, mais la qualité de la préparation et de l’organisation fait que les interventions se passent généralement bien – adrénaline comprise. Mais en 2015, le scénario change : une semaine après Charlie Hebdo, la Belgique connaît dans la ville de Verviers son premier attentat terroriste islamiste. Cette fois, l’ennemi n’est plus le même. « Jusque-là, nous avions toujours abordé notre travail à l’ESI presque comme un jeu. Appréhender des malfaiteurs, c’était un peu jouer aux cow-boys et aux Indiens, dans une version pour grandes personnes. […] Verviers sera un vrai point de rupture, nous faisant découvrir un ennemi d’un genre nouveau. Des soldats imprévisibles, rusés, impitoyables et méprisant la mort. Des soldats qui savent comment nous mitrailler depuis des angles inattendus, tout en restant à couvert. Nos grenades incapacitantes et nos armes automatiques ne les ont pas impressionnés un instant. »
Après le récit complet de plusieurs interventions toutes plus périlleuses les unes que les autres, l’auteur s’arrête sur le cas de son compagnon Lerre, dont le casque a été transpercé par une balle full metal jacket qui lui a écorché le crâne au point d’emporter du tissu nerveux. Une fois la poussière retombée, la vue du casque en question jette une douche froide sur l’équipe : « Le mythe de l’agent d’élite invulnérable s’est effondré. Un matin, alors qu’un des collègues s’apprête à partir vers la caserne, sa fille s’accroche à ses jambes en pleurant ».
Le plus incroyable, c’est le calvaire que ce Lerre aura à traverser pour faire soigner les séquelles de cette agression. Gravement diminué, l’homme constate en plus qu’il est en train de perdre la vue. Au chirurgien ophtalmologue de réputation internationale ayant examiné son nerf optique et concluant qu’il faudra opérer, à défaut de quoi « dans six mois, les dommages seront irréversibles », la police fédérale oppose le diagnostic d’un simple médecin militaire qui affirme que des lunettes aux « verres adaptés » feront l’affaire. Évidemment, le prix de l’opération – 6 000 euros – n’a rien à voir dans cette décision… (Le policier décidera de subir l’opération à ses frais et réussira à se la faire rembourser presque intégralement après avoir engagé un avocat.)
La dernière partie du livre s’attarde davantage à ce que représente le fait d’avoir choisi ce métier pas comme les autres quand on a une femme et des enfants. Ces propos plus axés sur l’humain que sur le surhomme apportent un complément bienvenu aux récits exaltants qui précèdent.