En peu de pages et avec grande clarté, Marine Lefèvre démontre qu’il est possible et utile, même à propos d’un événement dont beaucoup prétendent tout savoir, d’élargir l’analyse et de dégager de plus amples conclusions. Ne retenir de la visite du général de Gaulle au Québec en 1967 que son « Vivre le Québec libre ! », ce serait, affirme l’auteure, méconnaître et dénaturer la politique québécoise du président français, « politique qui prend la forme d’une escalade longue de près de trois décennies, qui culmine dans l’adhésion du Québec à la première institution intergouvernementale de la francophonie (l’ACCT) en 1970 ». Une intelligente relecture des documents confirme le verdict.
Au moment où le Québec et la France ressentent un début d’empathie l’un pour l’autre, les illusions occupent beaucoup d’espace. Ni de Gaulle ni André Malraux ne se font une idée précise des structures canadiennes. Versant québécois, ce n’est guère mieux. Certes, quelques initiés, parmi lesquels Georges-Émile Lapalme, André Patry, Jean-Marc Léger et Paul Gérin-Lajoie, entretiennent l’espoir de relations renouvelées entre Paris et son lointain cousin nord-américain, mais ni la classe politique québécoise ni les médias d’ici n’ont idée des formes que pourraient adopter les retrouvailles. Un temps de fréquentations sera nécessaire. Si de Gaulle juge d’abord saine la cohabitation des deux cultures en sol canadien, il en arrive en peu d’années à lire comme une injustice structurelle le sort fait aux « Français québécois » par la confédération. Au point que, parlant au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, il verra un parallèle entre les foules qui viennent de l’acclamer le long du Saint-Laurent et celles que composaient les Français lors de leur Libération… De là à évoquer l’hypothèse que le président français ne détesterait pas voir les Québécois francophones prendre conscience de leur droit à l’autodétermination, il n’y a qu’un pas. Et si la plupart des analystes, y compris les médias de France, se dissocient des termes choisis par de Gaulle, celui-ci, qui voit loin, continuera son offensive par d’autres moyens et en fonction d’autres cibles. C’est en partie à lui que le Québec devra les progrès enregistrés sur la scène internationale en 1969 et 1970. Bilan sérieux, fondé, stimulant, alors qu’on croyait tout connu.