Un homme blanc peut-il se mettre dans la peau d’une femme inuite ? Le romancier en est capable. Il utilise ici son pouvoir au service du récit d’une rencontre.
Un frère morave explorateur débarque un jour dans une communauté inuite des côtes du Labrador. Le voyageur fait forte impression sur les autochtones et leur annonce qu’il reviendra, avec des frères et des sœurs. La jeune Mikak est profondément troublée par cet homme que l’on nomme Jensingoak, celui dont le chant étrange et beau la poursuit jusque dans ses rêves. L’attirance réciproque de ces deux êtres appartenant à des mondes étrangers se butera à une frontière infranchissable. Bien intentionnés, les frères moraves apportent aux Inuits leur religion de paix et le salut éternel de l’âme. Ils apportent aussi des outils, de la farine, du sucre et des armes, une panoplie de choses matérielles au contact desquelles les Inuits verront leur mode de vie transformé.
Le roman renvoie bien sûr aux difficultés des relations avec les peuples autochtones, de même qu’à la souffrance causée par la sédentarisation de nombreuses populations de chasseurs nomades d’Amérique du Nord. Toutefois, en adoptant le point de vue de l’autre, au surplus celui d’une femme, l’auteur tente surtout d’appréhender les ressorts en action chez les Inuits dans cette histoire. Il s’intéresse peu à relever les torts des uns et des autres, s’attachant bien davantage à évoquer l’inédit et l’intensité d’une relation dans son commencement.
L’accent poétique dont le roman est marqué de bout en bout n’est pas toujours le meilleur adjuvant à la fluidité de la narration, mais il crée une déstabilisation du lecteur qui donne de la profondeur au propos. Les images, foisonnantes dans le récit de Mikak devenue vieille, empruntent aux éléments naturels, aux parties du corps, aux animaux et aux outils de la vie arctique. Mikak dira ainsi l’espérance du retour de Jengsingoak : « [L]es saisons glissaient sur leur ulu entre ciel et terre. Le temps cognait sur les têtes, le muscle de l’huître se fatiguait. Les écailles s’entrouvraient et des lames de nuits pénétraient nos jours ». Cette Mikak conteuse est un personnage hors norme au sein de son peuple. Emmenée en Angleterre comme objet de curiosité, elle gardera le don de regard distancié sur sa propre culture. De sa vie déclinante émerge la faculté de réconcilier la réalité et le rêve.
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