Le deuxième titre de Nicolas Charrette, Chambres noires, suinte le mal-être d’un trentenaire. Sans apitoiement, le narrateur dissèque ses problèmes d’alcool. L’auteur de Jour de chance réussit à ne jamais étouffer son lecteur dans le marasme individuel évoqué. Au contraire, la justesse de l’écriture, sa sobriété un tantinet paranoïaque, si on me permet l’oxymore, font en sorte que surgit de ce délire éthylique une parole crue et lucide.
Le roman met en scène Victor, un photographe alcoolique, qui s’adresse à Nina, une amie éloignée, à travers un journal qui ne se rendra pas à l’interlocutrice. Dans ces entrées disparates, écrites au gré des urgences, des moments de lucidité et de courage, le narrateur pense sa situation, donne une forme à ses pulsions, à son amertume de rechuter dans l’alcool sans être en mesure d’arrêter, malgré une perspicace compréhension du maelstrom qui le broie. Cet homme seul, malgré ses fréquentations, encabané dans sa chambre noire montréalaise, a beau entrer en contact avec le monde par l’art, par le travail, par la curiosité, il s’avère inapte à la vie commune, trop pris par ses obsessions, ses déchirements. Sa sincère entreprise pour sortir de la consommation se bute au fait que le protagoniste ne s’éprouve dans le monde que lorsqu’il est altéré. Il en résulte un roman grave, violent, où la rancœur déployée concerne au premier chef le narrateur, parce qu’il se sait pris dans une dépendance et incapable de recouvrer sa liberté. Dans ces aventures nocturnes, auxquelles se greffent drogues, rixes, rencontres futiles et émouvantes, le protagoniste oscille entre regret et paranoïa, entre beauté et laideur, entre extrême solitude et sexualité programmée.
Le tout est narré par une voix introspective, au ras des émotions et des corps, sans esbroufe, mais puissante. La scène initiale scande le rythme soutenu de cette quête de sens, d’équilibre, de grâce (la prière est une porte de sortie envisagée, bien que déniée) : un homme cherche à mettre le nez dehors, à se joindre à la cohue du monde, n’y parvient pas, mais arrive à prendre la plume pour creuser ses défaillances en s’adressant à une ancienne flamme qui lui rappelle un équilibre depuis longtemps perdu et un temps où sa propre image permettait l’avenir. Les scènes suivantes, sans avoir l’éclat de la première, soutiennent ce témoignage poignant. Chambres noires est un récit en spirale et glissement, où la confession dénie la toute-puissance de la volonté. Réflexion sur la responsabilité, sur la solitude des corps, le roman résonne, tant le désarroi contemporain, si souvent rabâché, se donne à lire, à nu, dans un regard singulier et pourtant commun.