En 1953, le sénateur républicain Arthur Vivian Watkins fait voter la Résolution 108, connue sous le nom de Termination Bill, afin d’abroger les ententes alors existantes entre le gouvernement américain et les tribus indiennes.
Le président du conseil tribal des Chippewas/Ojibwés de Turtle Mountain sait qu’en réalité la Résolution 108 entraînera leur disparition.
Récit historique, roman ou essai ? Dans Celui qui veille, un mélange des genres, Louise Erdrich rapporte que, sous le prétexte d’émanciper les Indiens, la Résolution 108 – une fois dûment signée par les chefs des tribus – supprimera les obligations du gouvernement envers eux, dont celle de verser des subsides pour l’éducation et la santé. Les traités comportaient pourtant une clause affirmant leur éternelle validité, « tant que l’herbe poussera et que les rivières couleront ». L’autrice raconte les efforts déployés par Washington pour imposer la « terminaison » partout aux États-Unis.
Le sénateur Watkins, instigateur du projet, voulait « régler le problème indien » une fois pour toutes. Non seulement les traités coûtaient cher, disait-il, mais le mormon obéissait au diktat de son Église, qui voulait « changer les Indiens en Blancs » et les invitait à se convertir à ses croyances : « Plus tu pries, plus tu pâlis ».
L’histoire américaine a malheureusement démontré que, chez les tribus qui ont accepté d’être « terminées », « les gens [sont morts] précocement, dans le dénuement le plus total. Aucune tribu n’en tira le moindre bénéfice ».
Après avoir consulté de nombreuses archives, dont la correspondance de son grand-père Patrick Gourneau, la romancière raconte comment, grâce à celui-ci, la bande de Turtle Mountain n’a jamais été « terminée ». S’inspirant de son aïeul, la romancière a créé le personnage de Thomas Wazhashk, qui donne le titre au roman. Veilleur de nuit dans une usine située près de la réserve, le militant est surtout celui qui veille sur la terre de ses ancêtres. À partir du Dakota du Nord, il ira défendre les siens jusqu’à Washington en compagnie entre autres de sa nièce Patrice « Pixie » Paranteau, femme forte et libre, une héroïne cette fois inventée par l’autrice.
Gravitant autour d’eux, d’émouvantes figures luttent pour que leurs voix résonnent. Ensemble, ces défenseurs cherchent à mettre un point final à cette pitoyable décision – qui ne sera renversée qu’en 1970 – ainsi qu’aux multiples injustices raciales qu’ils subissent sans cesse. Ils veulent surtout éliminer les ignobles pratiques de viols et d’enlèvements dont faisaient – et font encore – l’objet les femmes autochtones.
Malgré la pauvreté de la réserve et la turpitude des bas-fonds de Minneapolis, hommes et femmes se retroussent les manches afin d’éviter d’être dépouillés de leurs terres et de leurs droits. Chacun à sa façon, par les luttes sociales, les études ou même les combats de boxe pour amasser des fonds, les Chippewas/Ojibwés de Turtle Mountain mènent une dure bataille pour empêcher l’application de la Résolution 108 dans leur communauté. Ils y parviendront.
Née en 1954 d’une Ojibwée et d’un Germano-Américain, Louise Erdrich a grandi dans une réserve chippewa/ojibwée, troisième groupe autochtone en importance aux États-Unis derrière les Navajos et les Cherokees. Celui qui veille a été couronné en 2021 du prix Pulitzer de la fiction.