Avec une pointe d’ironie à peine feinte, la narratrice de l’épilogue de ce recueil de nouvelles, elle-même écrivaine (l’ironie se décline ici sur le mode de l’autodérision), rappelle les propos tenus par un écrivain qui, sur les ondes d’une radio dite culturelle, « prétendait que le meilleur moyen de se reposer pour un romancier était d’écrire des nouvelles. Elles ne vous engagent pas, disait-il d’une voix affectée, ne vous habitent pas pendant des mois et des années comme le font les romans ». Le présent recueil de Christiane Frenette, Celle qui marche sur du verre, est un très joli pavé lancé dans la mare de cette belle et calme certitude.
Le dernier reproche qu’on pourrait en effet faire à ce recueil serait de prétendre qu’il n’est pas habité. Certes, les personnages qu’on y retrouve n’ont pas la stature des héros qui épuisent les écrivains qu’ils asservissent. Non, ils ressemblent davantage à ces gens que l’on croise tous les jours – et avec lesquels on pourrait sans doute être confondu -, dont on ne soupçonne pas qu’ils puissent abriter les grandes et petites passions qui nous sont ici dévoilées. Qu’il s’agisse du personnage de l’écrivaine qui se réfugie en bordure du fleuve pour écrire, auquel le titre du recueil fait écho, de ces couples qui vivent à leur insu dans des maisons de verre et qui croient pouvoir se dérober au regard de l’autre, de ces hommes et de ces femmes qui regardent, impuissants, leurs rêves s’effilocher jour après jour, de cet étudiant qui pèle avec minutie une orange au milieu de ses camarades, retardant le moment d’expliquer en sept cents mots sa notion du bonheur, les personnages qui traversent ce recueil ont en commun ce tumulte intérieur qu’ils croient invisible aux yeux des autres.
Comme autant de tessons de bouteille patiemment polis par la mer que la narratrice du dernier texte, « Quelque chose de Tennessee », s’amuse à collectionner, les posant tour à tour sur sa table de travail, les regroupant par couleur, vert seven-up, brun bière, bleu noxema, blanc universel, chacune des nouvelles s’offre au lecteur avec simplicité. Aussi, doit-on y entrer avec le même sentiment d’abandon qui anime la narratrice des premier et dernier textes de ce très beau recueil, et « se fondre dans les textures, les odeurs, la lumière d’août ».