Silence d’abord au bout du fil quand Léa, 13 ans, appelle son frère à Paris, de Blanquefort où elle habite avec ses parents. Avec difficulté, après des hésitations, elle sort de son mutisme : « Il s’est passé quelque chose ». Encore des silences, puis : « Papa vient de tuer maman ». C’est ce frère qui raconte.
L’actualité rapporte des féminicides avec les quoi et les comment, le mobile du criminel, le profil de la victime, les témoignages jusqu’à l’issue du procès. Or, « [c]e qu’il y a de scandaleux dans le scandale c’est qu’on s’y habitue », de suggérer le romancier en citant Simone de Beauvoir, en exergue. Le drame est ici raconté du point de vue de ce qu’il est convenu d’appeler les victimes collatérales, le fils narrateur et sa jeune sœur, témoin du meurtre qui a capté les derniers mots de sa mère. Papy, le père de la victime, voit aussi sa vie bouleversée. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, une part de leur existence propre est anéantie, outre le choc de la perte brusque d’un être cher tué de 17 coups de couteau.
Avec du recul et sans pathos, le narrateur remonte le temps, du téléphone de sa sœur, à l’état où ils se retrouvent tous quelques années après le drame, et des mois après le procès qui a conduit le père en prison. Le désarroi, des interrogations sans fin, la culpabilité ; « je n‘ai rien vu venir, personne n’a donc rien vu venir », ne cesse de se répéter le fils. Pourtant, au cours de son enquête, il réussira à découvrir des indices qui, une fois regroupés, sont révélateurs de la violence et du contrôle qu’exerçait son père sur sa femme. S’imposant la responsabilité de sa sœur, victime d’un grave choc post-traumatique, il sacrifie son rêve, lui qui allait faire partie de l’élite des danseurs à l’Opéra de Paris. Il connaîtra des périodes de dérapage et de déchéance intermittentes en tentant de reconstruire sa vie. Quant à sa jeune sœur Léa, la fin du roman ne dit pas si elle est sortie de l’état presque végétatif dans lequel elle se trouve après des mois de confusion et d’ambivalence entre la perte de sa mère et le crime d’un père qu’elle aime.
Non pas un fait divers, mais un phénomène social, de dire Philippe Besson, qui a su illustrer pertinemment la trame des féminicides. Une histoire qui se répète. Sauf que le récit de Philippe Besson se distingue par ce qu’il fait ressortir : les conséquences pour les proches, surtout quand il s’agit des enfants de la victime et de son meurtrier.