« Un livre qui embaume l’ail, l’anis et les secrets de famille », promet l’énoncé séducteur de la quatrième de couverture. L’auteur aura mis une dizaine d’années à peaufiner ce récit dans lequel les membres d’un clan cairote n’échapperont pas à leur destin, tel qu’il a été prédéterminé par Allah. Mektoub !
La qualité de l’écriture du primoromancier Éric Chacour, né à Montréal de parents égyptiens, se mêle à la sensualité levantine de Ce que je sais de toi, pour le plus grand plaisir des lecteurs. Médecin qui sera éventuellement obligé de s’exiler, le protagoniste Tarek – et son encombrante famille – est en effet levantin, c’est-à-dire d’origine syro-libanaise, et, comme ses compatriotes, occidentalisé, chrétien et de culture francophone.
Né au Caire peu après la Guerre israélo-arabe de 1948-1949, Tarek voit devant lui son destin tout tracé. « Nasser construisait le plus grand pays du monde et ta mère avait décidé que tu en serais le plus prestigieux médecin », lui prédit le narrateur.
La vie en décide tout autrement. Jeune marié, fils dévoué, homme du monde, Tarek fera une rencontre fulgurante, décisive et lourde de conséquences : peu après, en 1983, le jeune trentenaire devra abandonner les siens et le soleil du Caire pour se réfugier, seul, dans la froidure de Montréal. « Il fallait partir. La maison, le taxi, l’aéroport, l’avion, l’aéroport, le taxi… […] À compter de ce jour, tu devins étranger partout. »
Que s’était-il donc passé ?
Sur fond d’histoire d’une Égypte en pleine transformation, le narrateur raconte quarante ans de la vie de Tarek, de 1961 à 2001, de ses premiers émois de jeune étudiant à sa maturité de chirurgien accompli, en exil au Québec. Pendant ce temps, se trament au Caire « les questions de la Palestine, des Frères musulmans, du barrage d’Assouan ou des nationalisations », dont celle du canal de Suez.
Encore plus déterminante pour le jeune Levantin que tous les événements tragiques que son pays aura connus, y compris la dramatique guerre des Six Jours en 1967, sera son histoire d’amour avec Ali. Cette liaison était inconcevable, d’autant plus que tout séparait les deux hommes, à commencer par leurs classes sociales, l’un étant issu de la bourgeoisie, l’autre, prostitué de nuit. Attentive, la famille de Tarek saura veiller au grain, et fera tout en son pouvoir pour que l’indicible ne se produise pas.
Dans cette saga familiale, l’auteur Éric Chacour, diplômé en économie appliquée et en relations internationales, a réservé de fort beaux rôles à quelques femmes, personnalités hautes en couleur. Grand-mère, mère, tante ou sœur, servante, elles sont nombreuses à vouloir protéger Tarek, tant bien que mal, souvent maladroitement. Très maladroitement.
« Mektoub, c’était écrit. Au fond d’eux-mêmes, chacun d’eux entendra ce mot prononcé par la voix d’une femme. »