Endroit pour écrire, pour lire, pour rêver, pour rencontrer un amant ou pour tenter de retracer un souvenir diffus, la chambre favorise des actions, des états d’esprit que la cuisine ou le salon, par exemple, rendent moins accessibles. Contrairement à d’autres pièces d’un logis, elle prédispose à l’introspection, elle profite aussi à l’expression de la créativité et de la singularité par l’intimité qu’elle facilite.
Marie Bélisle estime avoir occupé près de 150 chambres au courant de sa vie, cela dans plus d’une soixantaine de villes et de villages d’Europe ou d’Amérique du Nord. Dans ce recueil pluridisciplinaire où cohabitent la littérature et les arts graphiques, c’est par une écriture suggestive d’une grande maîtrise ainsi que par des dessins au trait vif que 35 lieux uniques sont offerts à notre imaginaire et à notre regard.
Ce livre partage son titre avec un essai sur la photographie qu’a fait paraître Roland Barthes il y a une quarantaine d’années. Ce même terme latin, camera lucida, fait également référence à un ancien dispositif optique conçu pour aider aidant un dessinateur à reproduire son sujet. L’auteure souligne toutefois que l’emploi de cette expression renvoie davantage à ce que l’on pourrait nommer une « chambre de lucidité paramnésique ». En fait, l’écrivaine illustratrice ne cherche pas tant à recréer fidèlement ces dizaines de pièces qu’elle a occupées qu’à montrer le prisme déformant à travers lequel s’opère la mémoire humaine. « Dans une lettre à un ami, je parle de ce projet : ‘je revisite les chambres où j’ai passé mes nuits (comme si j’écrivais mes mémoires sur un mode métonymique)’ ». Ce que propose Bélisle, ce sont de superbes esquisses, des flashs vivides et chargés de connotations. Certains endroits sont ainsi décrits selon leur aspect matériel, d’autres sont abordés comme les témoins de gestes particulièrement significatifs ou comme des lieux de résidence éphémère dont un simple détail a été conservé.
Parallèlement, une vingtaine de courts textes nommés « antichambres » accompagnent les passages consacrés aux divers lieux occupés par l’auteure. Ces commentaires, situés de l’autre côté du miroir, proposent une seconde voix qui bonifie l’expérience de lecture. Mieux encore, l’amalgame de ces deux discours qui s’entremêlent comme l’envers et l’endroit d’une même médaille, auquel s’ajoute une dimension visuelle, forme un tout cohésif d’une grande intelligence.
Terminons en disant que ce livre à la facture matérielle irréprochable fait écho, près de 100 ans plus tard, au célèbre essai de Virginia Woolf Une chambre à soi, ouvrage dans lequel la femme de lettres anglaise réfléchit sur l’importance de cet espace privé nécessaire à la création. Nul doute, Marie Bélisle réactive cette idée de brillante façon.