L’événement est au départ historiquement avéré : lors du tournage du film Le milliardaire de George Cukor, l’un des réalisateurs les plus respectés de Hollywood, Marilyn Monroe et Yves Montand ont interprété un couple naissant.
Les rumeurs d’une idylle véritable entre les deux vedettes allaient alors bon train : quel homme aurait pu résister à l’irrésistible Marilyn Monroe ? On ignore la vérité quant à ce qui a vraiment eu lieu entre l’actrice et le chanteur en-dehors des studios et loin des regards indiscrets, mais rien ne nous interdit de l’imaginer. C’est ce que fait Éric-Emmanuel Schmitt dans sa courte pièce Bungalow 21, dont le décor principal correspond exactement à la photographie de la couverture, judicieusement choisie, et qui en révèle beaucoup plus que le titre – mal choisi, lui, et peu informatif – sur les quatre protagonistes. Autour des studios de Hollywood, les bungalows servaient à loger les acteurs et actrices de passage – et leur entourage – durant les tournages. En anglais, le long métrage s’intitulait Let’s Make Love, ce qui à l’époque signifiait « parlons d’amour » ou « flirtons ! », sous-entendant un stade purement platonique. Filmée magistralement par Cukor, qui savait mieux que personne la mettre en valeur, Marilyn y est sublime et renversa le public avec son interprétation infiniment sensuelle du standard de Cole Porter, « My Heart Belongs To Daddy » ; inversement, Yves Montand est ridiculement mauvais, mais il jouait le rôle d’un raté, par ailleurs aussi maladroit que richissime.
Axé sur les dialogues, Bungalow 21 montre la rivalité puis l’attraction entre les deux stars du film, mélangées à la complicité courtoise entre les deux épouses : l’une triomphante et l’autre trompée, puis doublement humiliée par la machine à rumeurs. Et pour Yves Montand, était-ce simplement une occasion unique à ne pas laisser passer : un tournage à Hollywood avec, en prime, l’actrice la plus adulée au monde ? Un tumulte de réactions surgit : séduction, susceptibilité, jalousie, mais aussi confidences et confessions de part et d’autre. Certaines répliques avaient déjà été attribuées à Marilyn dans d’autres contextes – interviews ou journaux intimes publiés posthumément – et sont habilement insérées dans le texte. Les personnages de Simone Signoret – vieillissante – et d’Arthur Miller (qui était alors M. Monroe, en quelque sorte) sont davantage que de simples faire-valoir ; ici, même le groom a droit à quelques répliques percutantes, par exemple lorsqu’il confie candidement à Simone Signoret son regret qu’elle ne prenne pas part au tournage – car, selon lui, l’actrice française aurait très bien pu incarner, dans le film, « la mère de Marilyn » ! Les didascalies inventives et des éléments d’intertextualité faisant référence à la poésie de Jacques Prévert traduisent une grande créativité, et l’insertion d’un extrait de la célèbre interprétation de la chanson « Les feuilles mortes » par Yves Montand est parfaitement justifiée.
On peut aisément imaginer l’efficacité de Bungalow 21 une fois la pièce mise en scène car nous sommes en territoire mythique, mythifié et mythologique. Le sujet de cette rencontre datant de 1960 est en or et pourrait donner lieu à différents prolongements par plusieurs auteurs. Déjà, la dramaturge écossaise Sue Glover avait produit, douze ans avant Bungalow 21, une pièce intitulée Madame Montand and Mrs. Miller (en français : Marilyn en chantée, 2011), racontant une extrapolation similaire, à partir de trois personnages cette fois.