Dans son premier recueil de poésie, Brasser le varech, Noémie Pomerleau-Cloutier tente de circonscrire le territoire d’un double déracinement.
D’abord, celui qui mène la narratrice d’une rive à l’autre, de la Matapédia à la Côte-Nord où elle échoue, adolescente. Et puis, celui plus tardif qui la sépare de son père, ingénieur forestier, mort sur la route nationale qui longe le littoral du Saint-Laurent de Tadoussac à Natashquan, « son bois / en pleine face / la 138 dans le crâne ». C’est dans le sillage paternel que s’organisent les poèmes, sur les buvards de l’herbier, pour arracher au silence un langage sylvestre qui était le sien, suivre, sur les pages effritées de son exemplaire de la Flore laurentienne, son « écriture de boisé ». Mais surtout, il s’agit pour la narratrice de fouiller le territoire « jusqu’au sang des souches », pour dire le vide laissé par la perte, le chagrin, la colère, la culpabilité. Trouver les mots, ceux qui pourraient, à l’instar des plantes nord-côtières, s’enraciner dans la terre calcinée des brûlis, faire émerger des « fragments de réponses ».
Certains poèmes s’égarent au fil de l’inventaire floristique, reprenant, presque mot pour mot, le lexique de la Flore laurentienne. Ce qui faisait l’originalité de la démarche devient, à l’occasion, mécanique et redondant. Cependant, quelque chose se produit en chemin, le choc du déracinement s’épuise, les morceaux éparpillés se rassemblent, ils prennent place dans un ordre plus grand, celui de la nature, au sein de la multitude ordonnée des plantes, selon la formule de Marie-Victorin. À dire les mots du père, à marcher dans ses pas, une consolation peut émerger, le silence être habité. Pour autant, ce n’est pas un processus de deuil qu’accomplit la narratrice. Malgré les années qui passent, l’absence paternelle est inacceptable, la douleur persiste, incandescente, il faut apprendre « à vivre / avec une branche / plantée solide / en travers du tronc ». La tension territoriale que synthétise le titre du recueil, entre le fleuve et la forêt boréale, évoquée en filigrane à travers l’imaginaire de la drave, trouvera son articulation finale dans l’image saisissante du quai, construit à même les chutes de bois laissées par le père : « [P]etit à petit / des lamelles / qui jonchent / le banc de scie / de ton père / tu construis / ton quai ». Si le père-bois ne flotte plus, c’est qu’il s’enracine au fond de l’eau, terre « boueuse à marée basse ». Un quai comme un pont entre deux rives.
BRASSER LE VARECH
- La Peuplade,
- 2017,
- Chicoutimi
98 pages
19,95 $
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