Ce que la politique peut en bouleverser des vies… En ces durs moments où on a vu, et voit encore, le quotidien de millions de personnes profondément bouleversé par des conflits armés, en Ukraine, au Proche-Orient, le roman de Caroline Vu, une médecin québécoise d’origine vietnamienne, nous replonge dans cette triste réalité. Avec un retour historique en Asie, lors de la terrible guerre entreprise par les Américains au Vietnam.
Le livre débute donc au milieu des années 1960, à Saigon. Le Vietnam est alors séparé entre une zone sous domination communiste, au nord, et une autre sous domination occidentale, au sud. Les Américains y déploient leur force militaire pour éviter la contagion du communisme dans toute l’Asie.
L’histoire est narrée par Nat. Celui-ci est le fils d’une jeune vietnamienne, devenue prostituée auprès de soldats étrangers, et d’un père fantassin afro-américain. Comme lui, les soldats, quand ils ne sont pas sur les tranchées, traînent boulevard Catinat, à Saigon, où ils font une pause de cette guerre qui les plongent dans une grande anxiété : l’opposition communiste nord-vietnamienne est rude. Et de plus en plus intense, aveugle, la violence de l’armée américaine déployée pour l’endiguer. Parmi ces moyens : l’agent orange, un herbicide utilisé pour tuer la flore, mais qui handicapera gravement civils et combattants. La guerre tourne mal pour les Américains : ils en repartent en piteux état, en 1976, sous la honte, héliportant à la hâte, de leur ambassade à Saigon, leur personnel diplomatique devant la prise de la ville par leurs opposants nordiques.
Adolescente, la mère de Nat se lie avec une jeune vietnamienne du quartier, qui donne des leçons particulières avec son père, professeur. À la chute de Saigon, renommée sous les communistes Hô Chi Minh-Ville, cette amie d’adolescence devient petite cadre du nouveau régime stalinien qui se met en place. Elle use de son influence pour envoyer Nat vers ses parents biologiques, en Amérique.
Car Nat, en effet, a été abandonné à un jeune âge, sa mère ayant été forcée par ses parents de le placer dans un orphelinat, du fait qu’il est né hors mariage, pire d’un père étranger… et noir.
Nat sort donc de cet orphelinat, tout jeune adulte, et part vers les États-Unis pour retrouver d’abord son père afro-américain, vivant sur la côte Est, puis sa mère, qui s’est refait une vie en ouvrant avec succès un restaurant vietnamien à Los Angeles. Et qui s’est, au surplus, découvert un intérêt pour l’écriture : un talent dont Nat héritera et qui l’amènera à tenter de recomposer sur papier, tant bien que mal, sa singulière histoire de vie.
Ce roman est une grande fresque humaine : un récit dense, mais fluide, avec une description juste, pointue, détaillée, mais sans fioritures, du parcours exceptionnel de ces personnages ordinaires, qui du Vietnam profond, qui d’un pays, les États-Unis, se voyant comme le gendarme du monde.
Une œuvre réussie, qui démontre comment les vicissitudes tentaculaires de la politique mondiale, dans ce qu’elle a de plus cruel, nommément la guerre, ont réussi à faire se croiser les destins de personnages normalement jamais appelés à se connaître.
Pour emprunter une formule utilisée dans le roman, des croisements qui relèvent autant de la tragédie que du miracle…