Un ensemble de petits riens, qu’il n’est pas pour autant plus simple de rendre. Ainsi Roger Grenier définissait-il la nouvelle lors d’une entrevue sur France Inter, il y a de cela quelques années, en s’empressant d’ajouter qu’il fallait y retrouver la nécessaire tension dramatique, et savoir s’arrêter lorsque le sujet, le petit rien, était épuisé.
Monique Le Maner pourrait reprendre à son compte de tels propos. Auteure de six romans, elle vient de faire paraître un recueil de nouvelles, Bonne nuit, Lucette !, qui s’inscrit dans cette veine de petits riens. Le recueil s’ouvre sur un très court texte, « Incipit Excipit », dans lequel un enfant court dans la neige, tombe et se relève en appelant sa mère, tout en sachant qu’elle ne pourra pas venir à son secours, que cela n’arrivera pas. Métaphore de la vie qui passe avant même qu’on ait le temps de prendre conscience qu’on est devenu adulte, qu’autour de nous plusieurs ne se relèveront pas. Enfant au lever, vieillard au coucher. Que s’est-il passé entre les deux ? C’est ce territoire, cet intervalle temporel qu’explore Monique Le Maner tantôt avec gravité, tantôt avec humour, sans jamais céder à la pesanteur. S’entremêlent dans ses nouvelles réalisme et fantaisie, à l’image même du cours d’une vie, de nos espérances et désillusions. La présence des mêmes personnages d’une nouvelle à l’autre, à commencer par Lucette et son compagnon de vie, Gaston, vient renforcer, par son côté nominatif, l’effet de réverbération, voire d’universalité qui s’impose peu à peu. Tout en paraissant nous entretenir des banalités de la vie de façon désinvolte, Monique Le Maner nous rappelle que personne n’échappera au vieillissement. Le titre de la deuxième nouvelle, non sans ironie, nous le rappelle sans ambages : « La vieillesse est un naufrage ». Il ne faudrait pas en conclure que ce recueil est sombre et déprimant, loin de là. L’auteure sait doser son propos, et adopter la manière et le ton pour en désamorcer le tragique, comme en fait foi l’illustration de la page couverture. Lucette n’est pas une plaignarde. Monique Le Maner sait éviter les pièges du bon sentiment sans renoncer à toucher le lecteur, à le surprendre par de petites chutes qui, bien qu’elles soient parfois prévisibles, n’en produisent pas moins l’effet recherché. Dans l’une des nouvelles, deux amies se revoient après 50 ans et cherchent à renouer sur la base de ce qui n’a jamais été. Un leurre comme tant d’autres, conclut la narratrice. Ailleurs, Lucette devra accepter de laisser partir Gaston tandis qu’il la reconnaît encore, qu’il peut encore choisir sa sortie de scène avant de devenir légume, comme il décrit ce qui l’attend s’il tarde trop à demander l’aide médicale à mourir. Ainsi s’enchaînent les textes qui se font écho dans le recueil et dont il faut souligner la construction, qui épouse le parcours d’une vie. Les textes les plus forts, les plus réussis, sont le plus souvent les plus courts. Monique Le Maner y manie le verbe comme un fleuret : le coup porte après une feinte, puis l’auteure bat en retraite. « Quand je serai grand, dit le personnage de la dernière nouvelle, alors, oui, j’aurai tellement aimé la vie. » C’est sans doute ce que Monique La Maner souhaite que nous retenions des aventures de Lucette. Là réside l’art des petits riens.