D’abord l’étonnement : roman, est-il inscrit sur la page couverture. Bon, ce ne sera pas la première fois qu’on étire la définition de ce mot, mais il me semble qu’on exagère un tant soit peu dans le cas présent. De surcroît, l’édition originale ne le laisse nullement entendre, préférant l’exactitude d’un sous-titre, A Memoir of Place, à l’illégitimité d’une catégorie romanesque. Le nom de l’auteure de Nœuds et dénouement, de Cartes postales, de Brokeback Mountain ne suffisait-il pas à légitimer la publication de cette chronique ? Il faut croire que non. Prix Pulitzer ou pas, certains écrits exigent un sauf-conduit pour être publié. Bird Cloud n’aura pas échappé à cette dure loi du marché. Dura lex, sed lex.
Il ne s’agit ici ni d’un roman ni d’un portrait autobiographique sans fard, comme on l’indique en quatrième de couverture. Bon, laissons la couverture de côté pour s’attarder au livre, à sa construction. Car c’est bien de construction qu’il s’agit ici. Après avoir roulé sa bosse un peu partout aux États-Unis et au Canada, durant son enfance tout autant que durant sa vie adulte, Annie Proulx désire se poser quelque part. Elle rêve d’un lieu où elle pourra enfin, riche de tous les lieux de passage qu’elle aura habités et qui auront nourri son imaginaire, voir s’ériger la maison qui sera sienne, qui correspondra à l’idée qu’elle s’est faite de ce que doit être une maison, un endroit où l’on peut tout à la fois vivre, regarder vivre et écrire. Elle choisit d’abord l’emplacement, un petit arpent de désert au cœur du Wyoming, entouré comme on l’imagine de vastes espaces où paissent des troupeaux, où viennent nicher pygargues et aigles pour lesquels Annie Proulx a développé une véritable passion d’ornithologue, un lieu où survolent les passages migratoires des pélicans, faucons et grands-ducs qu’elle peut suivre au rythme des saisons. Cette passion est constamment entrecoupée par les préoccupations qu’entraîne inévitablement la construction d’une maison : choix d’un architecte, de plans et devis, de matériaux et de menuisiers expérimentés, de plombiers et d’électriciens qui respectent, ou pas, leurs engagements. Bref, il s’agit davantage d’une chronique étalée sur plus de cinq ans au cours desquels Annie Proulx poursuit ses projets d’écriture tout en consacrant une large part de son énergie et de ses temps libres à la construction de sa maison, à l’histoire et à l’apprivoisement des lieux. Bird Cloud n’a toutefois pas la portée autobiographique qu’on lui prête, ni le pouvoir de catharsis d’un essai de Henry David Thoreau ou d’Annie Dillard. Les préoccupations domestiques rendent l’envol difficile.