Le français n’est pas seul dans le monde. Comment se passent ses interactions avec les autres langues ?
C’est la question que se posent, dans un récent essai, les auteurs de treize articles hétéroclites regroupés en trois sections : études littéraires, études culturelles et historiques, et études de linguistique appliquée.
Dans la première section, nous faisons la connaissance de quelques personnages fascinants de la littérature moderne ou contemporaine, en commençant par Jean Chicoine. Montréalais émigré au Manitoba, il a écrit une trilogie sur le Village Osborne, quartier de Winnipeg, dont le personnage principal, un Québécois émigré comme lui dans un milieu anglophone, mélange allégrement le français et l’anglais, dans une orthographe phonétique aussi déroutante que comique : « i know it’s not mosculâr dystrofy, Lalonde told me, botte i can’t ruimèmbeur de name ». Pour l’auteure de l’article, cette expérience littéraire « laisse entrevoir le potentiel constructif du bilinguisme au Manitoba ».
Les textes suivants portent sur divers auteurs qui ont choisi le français comme langue d’expression littéraire même si ce n’est pas leur langue maternelle, ou encore qui ont servi de trait d’union entre leur culture d’origine et la France. Nous est d’abord présenté Ventura García Calderón (1886-1959), diplomate péruvien et écrivain de langue française dont la vie et l’œuvre posent la question de la mesure dans laquelle l’étranger se moule volontairement ou non dans les clichés auxquels le convie (ou le confine) son public cible. Suit un portrait d’Abdellatif Laâbi (1942-), écrivain marocain qui entretient un rapport de « schizophrène heureux » avec d’une part l’arabe, sa langue maternelle, et d’autre part le français, la langue qui lui a été imposée par l’école coloniale mais qu’il a ensuite résolument épousée ; il en résulte que sa poésie s’enrichit de l’apport de l’arabe dialectal, de l’arabe classique et de l’espagnol.
Complètent cette première partie une étude de la langue vernaculaire des jeunes du Cameroun, pays ayant hérité non pas d’une mais de deux langues coloniales (anglais et français), auxquelles s’adjoignent d’innombrables langues locales – sans oublier le camfranglais –, puis un portrait de l’écrivain argentin francophone Copi et de son processus de création dans une langue étrangère à la sienne.
La deuxième section s’ouvre par un retour sur le camfranglais, « langue hybride accouchée par la jeunesse camerounaise pour satisfaire les empressements d’une rivalité entre la langue de Molière et celle de Shakespeare », pour ensuite nous faire découvrir un monde oublié, celui d’une Égypte où le français bénéficiait d’un statut remarquable, alors que ce pays n’a jamais été ni colonie ni protectorat français. Entre 1850 et 1950 environ, le français était en effet la lingua franca de l’Égypte, même si les langues vernaculaires non arabes les plus répandues étaient le grec, l’italien et l’anglais. De 1798 à 2007, on y dénombre plus de 200 titres de journaux et revues de langue française, sans parler des institutions. Cette profonde imprégnation donnera, dans le domaine de la chanson, de grands noms comme Moustaki, Dalida et Claude François, tous nés dans le pays des pharaons.
La dernière section porte sur l’enseignement du français langue étrangère dans divers contextes. On y parle des interférences entre les langues, de la façon dont les étudiants arabes apprenant des spécialités en français se servent de leur langue maternelle pour étayer leurs apprentissages et de la difficulté d’enseigner le français quand les manuels et les diktats administratifs ou pédagogiques sont mal adaptés à la réalité intellectuelle des étudiants. On y parle également de la difficulté d’enseigner le français en renonçant à l’idée de norme, dans le but de respecter la variété de cette langue, mais tout en s’adaptant à un monde où l’on se sent obligé de reconnaître que celle-ci ne suffit pas pour faire carrière. L’ouverture sur tout ce qui est autre pourrait, selon certains articles, mener à proposer à des étudiants de français langue étrangère de se pencher sur le sort des 28 000 Innus du Québec et du Labrador.
Le lecteur trouvera ici, pour reprendre les mots de la quatrième de couverture, un ouvrage qui « présente, de façon objective, les mythes et les réalités de la francophonie ».