Livre rose poudre qui pourrait tout aussi bien s’ouvrir sur de la douceur, de l’ironie, de la mélancolie, de la légèreté ou de la solitude, ce livre, c’est un peu tout ça et pas tout à fait.
Une femme, un miroir, l’histoire est bien connue. Elle se fait belle, déambule dans la ville. C’est l’été, c’est lourd, et pourtant, quelque chose de léger comme une brise fait voler les robes. Les arbres font contrepoids au bitume, à son écrasante chaleur. J’imagine le parc Victoria, les plaines d’Abraham ou le mont Royal, des trouées de soleil qui chauffent la face et le cœur. Et la femme ne s’arrête pas, elle nomme sa solitude, son errance, la vie qui grouille et donne peut-être sens à tout ça. Elle s’avoue fragile : « je déclare faillite ».
Immanquablement, je pense au film Eldorado, de Charles Binamé, à ces personnages jeunes, beaux et tragiques, qui se débattent pour se sentir vivre là où tout leur pèse. Les poèmes sont truffés de passants auxquels les yeux et le cœur de la narratrice s’accrochent : musicien de rue ou de métro, vieille Chinoise, enfant, voisine et voisin, gars en pantalons de camouflage, quêteux, barmaid. Aux ignorés s’ajoute une faune composée de moineaux, pigeons, chevaux et autres chats perdus. Et la narratrice est seule ensemble (je vole les mots de Daniel Bélanger), cherche à se lier à ces êtres.
Sous « les nuages noirs / sous le ciel / qui reste / quand tout passe », quelles traces laisse-t-on et pour qui ? Et qu’est-ce qui laisse des empreintes en nous ?
Si certains passages peuvent légèrement agacer et briser le ton, par leur côté jeux de mots ou de sonorités : « j’hume / mon humeur / d’humus », l’ensemble des poèmes de Julie Roy est puissant et fait entendre une voix très présente, en état d’éveil : « la vie / se tient / ici ». La poète est attentive à ce qui se passe et quelque peu en décalage. Son regard est vif, il capte les moindres détails, traces de vie, traces de malheur.
Une femme traîne sa solitude, foule une ville trop grande qui pourrait ne faire d’elle qu’une bouchée : « Le centre-ville / veut rien savoir / les édifices / m’ignorent ». Sa recherche de proximité, comme si elle voulait se coller sur quiconque pouvait la faire se sentir en vie, n’en est que plus émouvante. Je relis le livre rose, deux, trois, huit fois, et cela me frappe. Le vent, le soleil, la vie des autres, les beaux vêtements et son propre reflet dans le miroir, tout ça se suffit peut-être à soi-même :
« J’ai mis toutes mes robes / et mes boucles d’oreilles / pour mon miroir / belle / pour / rien »
C’est lumineux, c’est beau à pleurer.