Herménégilde Chiasson recevait en avril dernier le prestigieux prix Champlain, autrefois remis par le Conseil de la vie française en Amérique et maintenant repris par le Salon international du livre de Québec. Le recueil Béatitudes fait montre, selon le jury, d’une grande liberté, « de celles qu’incarnent autant l’élan le plus flamboyant que le geste ancré dans l’ombre du quotidien ». En effet, la beauté de ce livre réside dans le réalisme poignant avec lequel le poète saisit la nuit derrière nos gestes, et dans le lyrisme de sa langue.
L’Acadien réécrit à sa façon « Les Béatitudes », cette partie du « Sermon sur la Montagne » où Jésus rassure les pauvres, les affamés, tous les spoliés de la Terre, « Heureux soient-ils parce qu’ils seront récompensés ». Ceux-là, comme le promettent les Évangiles de saint Matthieu et de saint Luc, auront-ils le ciel ? Rien n’est moins sûr, bien que le début du livre le laisse supposer, par une sentence qui clôt des suites de vers commençant par « Ceux qui » : « Ceux-là auront » L’attachement à l’ici-bas devient de plus en plus fort à mesure que l’on avance dans cette œuvre, et bientôt, on constate que la promesse d’un paradis en haut a disparu, que c’est ici, sur terre, ni enfer ni ciel, que se joue l’avenir de nos vies. S’il y a réconfort dans ces paroles, il réside dans le destin commun qui unit ces « Celles qui » et « Ceux qui ».
Parmi ces visages, on a plaisir à reconnaître sa propre mère, son enfant, son amour. Le poète sait décrire avec une extrême minutie des gestes qu’on leur croyait uniques. Par exemple : « [C]eux qui s’agenouillent momentanément dans les lieux publics, faisant fi des chaises qu’on leur propose » ou « celles qui vous laissent de longs messages, au point où l’on croirait y déceler l’étendue de leur douleur, les mots se répandant à profusion dans le grondement de machine où elles finissent par se résumer brusquement, pour tout dire, concluant à la hâte par d’abruptes déclarations d’amour ». Le livre est vite barbouillé de ces petits traits au plomb, ces traces laissées dans le but d’y revenir plus tard, pour lire à ceux et celles que l’on aime les passages qui les nomment. Des envolées lyriques, au contenu plus existentiel, se mêlent aux traits du portraitiste, construisant un bel équilibre entre une quête de profondeur et le quotidien. On sent par ailleurs le vibrant hommage que rend Chiasson à ceux et celles qui ont marqué sa vie, dont un certain Gérald Leblanc à qui, parmi d’autres, est dédié ce recueil.