On ne s’aventure pas dans un livre de l’auteur sans prendre quelques précautions : se donner un cadre de lecture approprié, du temps pour lire, et surtout relire certains passages, pour laisser se déposer les sédiments d’une écriture aussi riche que généreuse à l’égard des sujets qu’il aborde toujours avec respect. Avers s’ajoute à la longue liste d’œuvres intemporelles de celui qui se décrit avant tout comme un écrivain de langue française.
Le sous-titre, Des nouvelles des indésirables, annonce déjà le propos et la couleur des nouvelles réunies dans ce recueil qui regroupe huit textes, dont deux ont déjà paru dans le recueil d’Amnesty International Nouvelles pour la liberté (2003) et dans la revue Le Courrier de l’Unesco (avril 1993). « Pour moi, souligne Le Clézio, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. » En refermant le recueil, on ne peut que lui donner raison et se sentir à notre tour révolté par le sort réservé à ces indésirables que l’on s’efforce de rendre invisibles pour faire taire notre conscience.
Le recueil s’ouvre sur l’histoire de Maureez Samson, jeune Malgache dont le père, pêcheur, un jour n’est pas revenu de la pêche. Le prénom de la jeune fille est déjà annonciateur de la vie qui l’attend : Maureen est devenu Maureez après que le n de son prénom a, comme son père, coulé de l’avant de la pirogue, où ce dernier l’avait reproduit, pour ressembler davantage à un Z. Désormais seule et livrée à elle-même dans un monde qui n’a que faire des orphelines, Maureez ne devra qu’à sa débrouillardise, et à quelques âmes charitables, sa survie dans un monde sans pitié pour les désœuvrés.
Ce premier texte, comme d’autres qui suivront, est traversé de chants qui font écho aux histoires des personnages, à leurs luttes pour survivre, tout en leur permettant de surmonter les difficultés qui se présentent à eux. Ainsi, dans la deuxième nouvelle, « Chemin lumineux », des migrants chantent pour se donner le courage de poursuivre les routes qu’ils empruntent en espérant trouver une terre d’accueil où leurs enfants et eux seront enfin en sécurité. Dans « Fantômes de la rue » défile une galerie de personnages parmi les plus démunis, dont on préfère le plus souvent nier l’existence plutôt que de s’interroger sur la valeur d’une société qui préfère leur effacement dans l’espace public au soutien qu’elle devrait leur apporter. Le constat est limpide : « Il y avait un très grand sentiment de solitude, toujours. J’avais mal à force de regarder ». Et c’est ce que cherche Le Clézio : faire naître chez son lecteur un malaise devant l’injustice pour qu’à son tour, comme les personnages, il ait mal quand il est confronté au dévoilement de la misère d’autrui. « La vie est une quête cruelle de la lumière, lumière des villes, lumière des déserts, lumière du sable qui emplit la bouche de ceux qui tombent », écrit l’un des narrateurs de ce texte empreint davantage de miséricorde que de condamnation de la misère humaine. Le titre du recueil prend ici tout son sens, Le Clézio nous présentant la face principale de l’existence.
Retrouve-t-on ce qui est perdu ? demande l’un des déshérités à qui Le Clézio prête voix dans le dernier texte d’un magnifique recueil qui s’adresse autant à notre sensibilité de lecteur qu’à la compassion que devraient nous inspirer tous les indésirables qu’aucun mur ne parviendra à maintenir à distance de notre confort et de notre indifférence. À ceux et celles à qui l’on a voulu voler qui une vie, qui une terre, qui le droit même d’exister, Le Clézio offre « le souffle hantant de leur forêt natale » restituée dans ces pages. Le souffle d’une liberté retrouvée.