Le thème du voyage constitue une source intarissable d’inspiration pour la création littéraire.
En témoigne bien l’ouvrage collectif Avec pas une cenne, qui réunit quatorze brefs récits de voyage produits par autant de créateurs invités (romanciers, nouvellistes, humoristes, scénaristes, chroniqueurs, etc.). Dans ce genre de collectif, la qualité peut évidemment varier d’un texte à l’autre, mais disons que dans l’ensemble l’ouvrage ne manque pas d’originalité. À une époque où les voyages se sont considérablement « touristifiés » et banalisés, les auteurs-voyageurs, aguerris comme inexpérimentés, réussissent en effet à surprendre et à dépayser le lecteur. Certes, les motivations de départ restent généralement assez communes. Il s’agit de faire « une grande remise en question », de « changer le mal de place », de « liquéfier [une] peine [d’amour] », d’« expérimenter la vraie vie », de « voir si vivre [peut] signifier autre chose », etc. Mais dans la plupart des récits, rien ne se passe comme prévu et les voyages donnent alors lieu à une diversité de tribulations, de complications, voire de désillusions : « À peine débarquées à Paris, écrit une des auteurs, nous étions déjà lasses. Déçues. […] en vrai, la tour Eiffel avait l’air d’un immense bricolage en cure-dents, tandis que la Seine et les bateaux-mouches nous paraissaient aussi romantiques qu’un ruisseau infesté de moustiques ». Ces mésaventures personnelles sont souvent rendues avec une verve truculente, mais surtout avec un humour et une distance qui conviennent bien au comique de certaines situations. Le lecteur s’amuse et s’attendrit à la fois des déconvenues éprouvées par les uns et les autres (déception amoureuse, anxiété, problème de santé, « sentiment d’inadéquation », désenchantement, etc.) et de la résilience dont il faut faire preuve dans les circonstances. « Tant qu’à trébucher, aussi bien le faire avec panache », lit-on en quatrième de couverture, au sujet de la « leçon à retirer » de ces quatorze récits. On peut difficilement ne pas se rappeler la fameuse remarque de l’écrivain voyageur suisse Nicolas Bouvier : « Si on ne laisse pas au voyage le droit de nous détruire un peu, autant rester chez soi ». Le voyageur le plus expérimenté du groupe d’auteurs formule un souhait pour ses enfants qui voyagent avec lui et qu’on pourrait sans doute étendre à l’ensemble des collaborateurs de l’ouvrage : « Que nos voyageries à tous se muent en actes de guérison, quelles que soient nos plaies, petites ou grandes ». Bref, au risque de généraliser au sujet de récits somme toute assez différents tant sur le plan des destinations visitées que sur celui des styles adoptés, on retient de l’ensemble de cette production viatique une tendance marquée à déplacer l’attention du voyage au voyageur ou à la voyageuse, autrement dit de la description sommaire des lieux visités à la narration d’anecdotes amoureuses, érotiques, familiales, amicales, etc. En effet, dans ces courtes histoires (entre dix et vingt pages chacune), l’ailleurs est nécessairement réduit à sa plus simple expression au profit d’une expérience personnelle, parfois de nature intime, au cours de laquelle chacun, tout exposé qu’il est à la perte de ses repères habituels, confronte ses propres limites. De l’époque révolue des cartes postales, nous sommes décidément passés à celle des selfies !