Des êtres blessés et désenchantés arrivent à survivre en s’appuyant les uns sur les autres. Vivant en autarcie, un peu en retrait du monde, ils seront rattrapés par un destin sur lequel ils n’ont aucune prise.
La narratrice et protagoniste du roman a perdu son amoureuse un jour de déluge. Emportée par une vague géante, avec une partie de la maison où elles vivaient toutes les deux. D’un seul coup, son milieu de vie et son univers sentimental étaient anéantis. Alors que les éléments étaient toujours en furie, elle avait atterri aux côtés de Marco. Ils n’avaient pas décidé de rester ensemble, l’adversité les avait simplement jetés l’un vers l’autre. « Marco et moi c’est pas de l’amour. Marco et moi c’est juste pour passer au travers. »
Pour la narratrice, dont on ne saura pas le nom, l’amour est irrémédiablement noyé. Mais l’image de son alter ego à la tignasse rousse la poursuit et l’empêche peut-être de mordre véritablement dans le présent. Si elle peine à survivre, la forêt lui apporte un certain réconfort. En même temps, elle se méfie de cet environnement imprévisible. Lors de ses sorties dans la nature, elle porte toujours avec elle une arme à feu, qu’elle appelle « le gun ». Elle note dans un cahier les noms des plantes et des animaux ; elle y consigne des pans de son quotidien. Son écriture est une timide tentative de mise en ordre du réel. Un jour où elle est seule dans la clairière dont elle croit avoir apprivoisé les formes, les couleurs et les sons, apparaissent Farah et ses trois enfants. La nouvelle venue et ses rejetons seront naturellement accueillis par la narratrice et Marco dans la « maison du fleuve ». L’inconsolable sera désormais accompagnée par Farah pour les expéditions et les cueillettes en forêt. Farah, la rescapée, celle à qui l’on vient en aide, celle qui doit compter sur le dictionnaire pour trouver les mots qui ne sont pas de sa langue, surprend ses hôtes par la force qui l’habite. Un jour où la narratrice connaît une crise d’anxiété, Farah l’entraîne dans un exercice revigorant. Elle la secoue, lui fait prendre conscience d’être en vie. Et peut-être d’avoir à nouveau le désir d’être en vie.
L’écriture de Virginie DeChamplain, qui épouse le style terre à terre de son personnage principal, saisit le lecteur dès le premier paragraphe : « Tout est blanc. Et vert et noir et tout est mort et vivant à la fois. Tout respire d’un même souffle, une poitrine immense qui se remplit et se vide. Se remplit et se vide, berçant les arbres alentour ». La trame du roman se divise en trois branches parallèles : les événements vécus par la narratrice, les allées et venues d’une « bête » que l’on devine être un cerf de Virginie et des bribes de la vie de Farah avant son arrivée à la maison refuge.
Une épée de Damoclès menace les humains et la bête du récit. Pire que les loups, elle en viendra à tomber. Face à la catastrophe annoncée, le désabusement et le désengagement des trois protagonistes adultes font qu’ils n’entretiennent aucune lueur d’espoir. Le sentiment d’impuissance de ces chats échaudés devant la fatalité finit par donner froid dans le dos.