Si ce n’était de mettre à mal sa grande humilité, on aimerait voir Ryszard Kapuscinski figurer dans un éventuel panthéon du journalisme. Cette fausse gloire posthume – il est mort en 2007 à l’âge de 75 ans – lui siérait d’autant moins que, vivant, il avait pour règle de n’accepter « ni titres, ni postes, ni fonctions ». Rien cependant ne nous interdit de profiter de son héritage. Les extraits d’entretiens, de discours et d’allocutions qui composent Autoportrait d’un reporter forment une sorte de testament où Kapuscinski évoque son parcours, rappelle les grands principes qui ont réglé sa conduite professionnelle et jette un regard critique sur le journalisme actuel.
On s’en doute, ce n’est pas avec ses dépêches comme correspondant d’une obscure agence de presse polonaise que Kapuscinski s’est fait un nom dans le monde des lettres. C’est plutôt à des livres comme Le négus (sur la chute d’Hailé Sélassié ; Flammarion, 1994), Le Shah(sur la révolution iranienne ; Flammarion, 1986), Impérium (sur l’effondrement de l’URSS ; Plon, 1994) ou Ébène (sur l’Afrique ; Plon, 2000) qu’il doit sa notoriété. Ces ouvrages transcendent les limites du compte rendu événementiel. Ils sont la radioscopie d’un moment d’histoire et la mise au jour de l’âme d’une nation. C’est pourquoi leur propos demeure toujours pertinent même si les événements qui l’ont vu naître ne font plus la une.
Si le texte « parlé » d’Autoportrait d’un reporter n’a pas la qualité de ses écrits, Kapuscinski s’y livre toutefois avec une rafraîchissante candeur. Historien de formation, il avoue avoir « besoin de vivre l’histoire avec les gens, c’est pour [lui] indispensable ». C’est sans doute pourquoi il écrit l’histoire à hauteur d’homme, en frère d’arme pourrait-on dire. « Pour pratiquer le journalisme, il faut être bon », dit-il. « Seul un homme bon essaie de comprendre les autres, leurs intentions, leur foi, leurs intérêts, leurs difficultés, leurs tragédies. Et immédiatement, dès le premier instant, de s’identifier avec leur vie. » À ce niveau d’empathie, le journalisme devient un humanisme.
Cet autoportraitse situe, on le voit, à mille lieues de l’anecdotique et du narcissisme. Réflexion intelligente et stimulante sur le métier de communicateur, ce livre devrait figurer parmi les lectures obligatoires de tout apprenti journaliste. Un conseil toutefois. Ceux qui n’ont pas lu Kapuscinski devraient d’abord lire ses essais. Ce sont eux qui donnent tout son sens à Autoportrait d’un reporter. Ceux qui sont familiers de son œuvre y trouveront, pour leur part, la confirmation de l’intuition qu’on a en le lisant, à savoir que Ryszard Kapuscinski était non seulement un très grand journaliste mais également un humain d’une rare qualité.