Le dernier roman de Marie-Claire Blais, Augustino et le chœur de la destruction, parachève la trilogie entamée avec Soifs en 1995, que la critique a unanimement présentée comme une entreprise littéraire monumentale.
« Dans une île du golfe du Mexique vit une galerie de personnages qui résument l’humanité entière : riches, pauvres, humbles ou puissants, artistes, criminels », nous annonce la quatrième de couverture. En dépit de ce compendium qui a le mérite de situer la fiction, Augustino et le chœur de la destructionreste inénarrable.De fait, cette fresque magistrale – qui s’étale sur une dizaine d’années et qui met en scène une centaine de personnages – en impose, autant par ses aspirations universelles que par ses inspirations rhétoriques au souffle poétique flamboyant. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action : tout, absolument tout nous renvoie au seul sujet dont il est vraiment question, le genre humain. Avec ses injustices et ses délices, dans toute sa sordidité comme dans toute sa splendeur.
Augustino, c’est ce jeune homme de seize ans, lucide, qui veut à tout prix devenir écrivain, portefaix de l’espoir malgré les humeurs du monde, malgré ce chœur qui gronde. À l’écoute d’une humanité mouvante et foisonnante, Marie-Claire Blais nous entraîne dans le sillage de nombreux personnages que l’on croise, que l’on quitte, que l’on retrouve au rythme d’une unique strophe de 300 pages qui se déploie comme un murmure. Mère, devenue une vieille dame digne qui aurait voulu faire plus et mieux et qu’Augustino craint plus que tout de perdre, Caroline, la photographe trop condescendante, Carlos, maltraité dans son centre de détention juvénile, le vieil Adrien que n’étouffe pas la sensibilité, Petites Cendres le travesti, Olivier, l’historien écorché vif, Tchouan, Nora, Renata, ou Mélanie « dont l’âme était si délicate ».
C’est la structure phrastique insolite et singulière qui peut dérouter le lecteur. La réputation d’hermétisme qui colle à l’œuvre de Marie-Claire Blais n’est pas tout à fait usurpée, il faut bien le dire ; esthétisante, foisonnante sans être complexe, elle n’est pas littérature de divertissement. Mutatis mutandi, pour ceux qui ne parviennent pas à entrer dans l’œuvre et à se faire au style, Marie-Claire Blais restera obscure et inaccessible ; pour les autres, ce sera sans nul doute une révélation, quelque chose qui a à voir avec la ferveur. Mais tous reconnaîtront sans exception les éclairs de génie stylistiques qu’il y a dans ce roman, ces phrases promises aux anthologies : « [ ] que Dieu te garde, si mes ancêtres n’avaient pas prié Dieu, ils auraient encore les fers aux pieds et aux poignets, mais ils avaient Dieu, Dieu à implorer, à chanter, dans la peine, Dieu impuissant qui voyait leurs corps lynchés, dont le sang séchait au soleil, avec Dieu, ils avaient tout, même si on les humiliait dans de sales besognes tous les jours, que Dieu te garde toujours et te protège de la vilenie des hommes, garçons, dit Petites Cendres, il avait porté la main à son cœur, car il lui semblait que ce Dieu dont il faisait l’éloge était en lui, d’autres avaient des empires, Petites Cendres avait Dieu [ ] ».