Ce livre aurait dû débuter à la page 156 par cet aveu : « […] mon père m’avait appris la lucidité et le courage d’affronter le monde vrai. Quel héritage plus précieux pouvait-il me léguer ? » Avant cette page on est tenté de fermer cette espèce d’autobiographie qui ressasse ce qui a déjà été écrit en plus beau… avant Martin Gray semble enfermé dans son rôle de témoin et de défenseur des juifs peu communicatif à d’autres causes. Il surfe sur la vague de l’antisémitisme qui semble se déverser sur la France. 156 pages de rancœur, enfin d’une certaine amertume. Les « je me souviens » des silences du pape, des prêtres qui appelaient leurs paroissiens à livrer les juifs : « 5 kilos de sucre contre un juif ! » pendant la Seconde Guerre mondiale à l’énumération des peurs rebattues et des rumeurs fatalement machinales, auxquels on offre la justification du témoignage : parce que Martin Gray a vécu le pire, ce qu’il raconte dans cet écrit doit être pris pour vrai et accepté, comme si son appel et ses mots avaient plus d’importance donc de poids à cause de sa souffrance.
Martin Gray ne semble pas être parvenu – dans cet écrit en tout cas – à la phase du pardon : la lutte contre Caïn se déroule à l’intérieur de chaque civilisation et surtout de lui-même. Il a une lecture pour le moins biaisée du monde : tous contre Israël. Pour justifier ses propos, il ramène l’image de ses « autres enfants morts brûlés en octobre 1970 dans le massif du Tanneron », ou, « moi qui suis entré dans les chambres à gaz pour en retirer les corps asphyxiés ». Comme si cela devait rendre son verbe intellectuellement valide. Oui son histoire est exemplaire de force et de vigueur, mais pourquoi diantre le rappeler constamment ? Pour légitimer quoi ?
Dès la page 156, l’écrivain se transforme : après Martin Gray l’apologue politique insipide, vient Martin Gray le prophète partageant sa leçon de survie – sans aucun doute la vraie malédiction de l’auteur – et enfin Martin Gray le nutritionniste : se convertir à une autre façon de vivre, revenir au monde vrai, celui qui commence par le corps et l’esprit, notre chair et notre âme.
Pour combattre tous les Caïn du monde et le Prince médiatique en particulier – vous savez bien : les médias mentent (oui et après ?) -, l’auteur plaide pour l’action. Il faut entreprendre pour l’autre monde, le monde vrai. Et pour devenir l’allié d’Abel, il faut que chaque homme ait réfléchi sur soi et qu’il ait trouvé les moyens de comprendre pourquoi il agit.