Les parutions en français sont plutôt rares sur le sujet, de sorte que les hobos, quand ils ne sont pas simplement relégués aux oubliettes d’un certain folklore livresque, restent largement méconnus. Au début des années 1980 toutefois, dans le cadre d’un programme universitaire en anthropologie, Ted Conover part à la recherche de ce qu’il considère comme les derniers représentants de ces resquilleurs qui sillonnent illégalement le continent sur des wagons de fret, qui brûlent le dur, dit-on dans le jargon. Plusieurs mois et quelques kilos en moins plus tard, l’étudiant transcrit les notes colligées lors de son expérience de terrain pour en tirer une étude dans la lignée du « nouveau journalisme » américain, traduite récemment sous le titre d’Au fil du rail.
Les hobos croisés par l’auteur ont pour nom Lonny, Al, l’Arbre, Sam, Buddy, Forrest, et transportent tous avec eux leurs histoires de déveine, confiées à demi-mot au fil des semaines de compagnonnage ou à la faveur d’une bouteille de Thunderbird partagée. Dans le langage coloré du rail, Conover décrit scrupuleusement leur quotidien : les journées à « faire la manche » (mendier), la rudesse des « bouledogues » (policiers), les nuits paisibles du « Sally » (Armée du salut) ou mouvementées des « jungles », ces campements de fortune établis en bordure des villes, généralement près des gares de triage. Pauvreté et marginalité, on l’aura compris, qualifient ce milieu particulièrement raciste – envers les Chicanos, surtout – et individualiste.
« [T]enus à l’écart du rêve américain, les hobos n’avaient pas de mobilité sociale, pas de sécurité, personne sur qui compter, personne à aimer. Ils étaient des étrangers partout où ils allaient. » Le constat final de Conover tranche net avec la vision teintée d’héroïsme qu’ont pu colporter en leur temps les William H. Davies et Jack London. Ici, le mode de vie du hobo a perdu de son attrait ; il ne s’agit plus d’une wanderlust aux accents romantiques, mais d’une nécessité proche de la fatalité. Peuplés de traîne-misère, les kilomètres de ballasts parcourus par l’auteur constituent le dernier refuge contre la malédiction sociale, un lieu où défilent des hommes ébranlés par des épreuves de toutes sortes. Dommage que le travail de révision linguistique, en multipliant aussi ouvertement doublons fautifs et coquilles, rende si peu justice à cet ouvrage passionnant.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...