Régis Jauffret est un de ces écrivains qui pourraient rédiger un très bon livre à partir d’un fait divers des plus banals : son style éblouit, rendant le sujet moins – pour ne pas dire « peu » – important. Un style vif, intense, en un mot : impressionnant.
Dans Asiles de fous, Damien part en voyage un matin, répétant des gestes posés nombre de fois. Aucune raison pour sa compagne Gisèle de soupçonner quoi que ce soit. La visite imprévue du père de Damien ne marque aucun changement, du moins au début. L’homme est venu installer un nouveau robinet. Il parle des tuyaux, de l’écrou, de l’inventeur du robinet qu’on devrait remercier. Ce travail terminé, il veut prendre un café. Ensuite… il annonce qu’il va récupérer les vêtements de son fils. Son ordinateur, ses disques et ses livres de comptabilité. Ainsi que l’armoire en pin. L’armoire qu’il ne peut pas descendre seul, d’ailleurs. Gisèle est jeune, forte, elle pourrait bien l’aider, cela ne lui coûterait pas beaucoup d’efforts… Un moyen peu délicat pour mettre un terme à une relation ? Oui, répondra la mère de Damien quarante-six jours plus tard (jours au cours desquels elle a aimé et détesté Gisèle, où elle l’a suppliée de ne pas l’appeler, avant de… composer son numéro) : c’est elle qui devait révéler la nouvelle, les femmes se débrouillant mieux dans de telles situations. Heureusement, la dame a une idée géniale : Damien devrait renouer avec Gisèle, pour que, maintenant, sa mère soit celle qui lui annonce la rupture… Celui qui a provoqué toute l’agitation ? Il affiche une indifférence totale, c’est le moins qu’on puisse dire. Et voilà que, peu à peu, le titre du livre devient compréhensible, logique : « […] plus encore que les histoires d’amour, toutes les familles sont des asiles de fous ».
En disséquant les rapports entre les amants, entre les parents et leurs enfants, en écrivant des phrases comme « j’ai perdu la raison en perdant les eaux », Régis Jauffret signe ici un roman qui vaut certainement d’être lu. Pour son angle de vue, pour ses phrases coups-de-poing, pour son style vraiment remarquable.