Le livre respire la liberté et le courage. Le ton, volontiers caustique, ne véhicule pourtant pas une hargne inutile. Si les failles du système sont mises en lumière, les personnes ne sont éreintées que si elles se complaisent démesurément dans la fabulation. En somme, enquête éclairante, sans complaisance ni acharnement. Que des zones d’ombre demeurent malgré tout inentamées, l’auteur lui-même ne le nierait pas, mais comment faire quand l’appareil refuse de justifier ses décisions et ne rend de comptes à personne ?
Deux conclusions, aussi déprimantes l’une que l’autre, se dégagent. D’une part, à Québec surtout, le mécénat d’État, en plus d’être pingre, entoure son fonctionnement d’un secret opaque et injustifié. D’autre part, l’ampleur des plaintes et des reproches formulés par les écrivains en exercice ou virtuels n’a souvent aucun rapport avec les décisions effectivement rendues par le Conseil des arts du Canada ou par son modeste homologue québécois. Même après le passage du temps, il demeure souvent impossible, surtout sur le versant québécois, de savoir qui a jugé telle demande de bourse ou comment concilier des jugements négatifs (et anonymes) et l’émission inattendue d’un chèque. Quant aux lamentations des écrivains, la situation étonne tout autant : Robert Yergeau a beau jeu d’établir un parallèle croustillant entre la vertueuse indépendance des écrivains qui jurent en public n’avoir jamais « quêté » et la liste des bourses encaissées par les mêmes individus.
Le mécénat d’État n’en sort pas grandi. Plus généreux, plus aguerri, le Conseil des arts n’échappe quand même pas toujours à la tentation de l’arbitraire. Des « académies invisibles » rendent jugement, le « capital symbolique » accumulé par certaines plumes pèse souvent plus lourd que les évaluations inscrites au dossier, une « circularité » gênante permet parfois à un demandeur d’apprécier avec mansuétude la demande de celui à qui il demande lui-même un petit service. À Québec, c’est pire. À propos de certaines années, les dossiers sont à peu près vides. Quand Yergeau accède enfin à certains comptes rendus, c’est pour découvrir qu’on a caviardé les noms des évaluateurs. Aux deux paliers du mécénat d’État, les prétextes dissimulent régulièrement les vrais motifs du refus. Sans se sentir ridicule, on invoque constamment le manque de fonds et l’on affirme que le refus ne constitue pas un jugement négatif sur le projet soumis. Ni courageux ni très utile.
Robert Yergeau veille à ne pas verser dans les travers qu’il dénonce. S’il constate qu’un boursier n’a jamais tenu les promesses offertes au soutien d’une demande, il le dit. S’il ne trouve pas de quoi étayer ses soupçons, il circonscrit honnêtement ses affirmations. À juste titre, il a la dent particulièrement tranchante quand il mord les menteurs. Prose fluide et efficace.