Cette traduction de The Case of Books, Past, Present, and Future se présente comme « une apologie du texte imprimé ». Devant les livres audio, électroniques (« Kindle books »), ceux qui sont reproduits intégralement dans Internet et les autres nouvelles formes d’ouvrages, on pourrait conclure que le livre tel que nous le connaissons serait désuet. Mais pour l’historien Robert Darnton, longtemps bibliothécaire à Harvard, le livre papier demeure plus que jamais nécessaire. Les nouveaux outils électroniques opèrent une sélection parmi les titres disponibles, laissant de côté des ouvrages importants, surtout pour les chercheurs. Bien sûr, l’auteur reconnaît les bienfaits des moteurs de recherche comme « Google Book Search » qui rend accessibles une infinité de titres à ceux qui n’ont pas accès à une vraie bibliothèque (à condition d’avoir un branchement au réseau Internet). En revanche, il identifie une quantité importante de titres qui restent rares ou méconnus parce qu’ils ne sont répertoriés dans aucune banque de données. Il faut répéter que les meilleurs vendeurs ne sont pas les livres les plus significatifs, surtout dans le cas des monographies, comme le prouvent les faibles ventes des presses universitaires en général. Une surabondance de livres commercialisés par des intérêts privés n’implique pas forcément un savoir pertinent et exhaustif. En ce domaine, la perfection existe déjà et se trouve dans les bibliothèques publiques.
Comme d’autres avant lui ‘ dont le romancier étatsunien Nicholson Baker dans son livre polémique intitulé Double Fold, Libraries and the Assault on Paper ‘, Robert Darnton constate que bien des bibliothèques publiques détruisent sans aucun remords une grande quantité de journaux, revues et livres anciens sous prétexte que tous ces documents seraient désormais préservés à jamais sous forme numérique, sans égard pour les éditions originales. À ce réflexe déjà institutionnalisé s’ajoute ce qu’il nomme l’idéologie de l’obsession de l’espace dans les grandes bibliothèques qui ont « diabolisé le vieux papier ».
Cet excellent essai d’un penseur important me rappelle les travaux essentiels de l’éditeur André Schiffrin livrés dans L’édition sans éditeurs, Le contrôle de la parole. On lit l’Apologie du livre de Darnton avec un grand intérêt, tout comme son Édition et sédition, paru dans la même collection. Grâce à de tels titres, la collection « NRF Essais » se porte décidément très bien.