Voici un récit de folie meurtrière qui puise sa matière première dans un riche terreau historique. N’empêche, l’auteur ménage ses effets d’une manière diablement efficace.
Anna Thalberg est le premier roman de l’auteur mexicain Eduardo Sangarcía, une œuvre qui lui a valu dans son pays le prix Mauricio-Achar. Le roman s’inspire d’événements survenus dans le sud de l’Allemagne à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. Une démente chasse aux sorcières condamna alors des centaines de personnes à périr par le feu.
Anna, épouse de Klaus Thalberg, est enlevée un jour par les hommes de main de Melchior Vogel, l’examinateur de Wurtzbourg. La jeune femme ne comprend pas ce qui lui arrive. Pieds et poings liés, elle est emmenée à la tour dont on ne ressort que pour monter sur le bûcher. C’est que la jouvencelle a des yeux couleur de miel et un visage piqué de taches de rousseur. Il n’en faut pas plus pour lui attribuer la responsabilité de la sécheresse, du lait qui tourne dans les seaux après la traite, des vers dans les pommes et du décès de femmes en couches. Il est vrai aussi que certains hommes du village l’ont regardée avec une drôle de lueur dans l’œil quand Klaus l’a ramenée du bourg voisin. On la dénonce. Elle sera soumise à la torture. Il faut lui faire avouer son pacte avec le démon et donner les noms des autres profanateurs qui ont mené sabbat avec elle.
Eduardo Sangarcía s’emploie à faire de son récit une mécanique inexorable dans laquelle sont imbriqués ses personnages. Bien sûr, le romancier prête à l’examinateur des mots et des agissements d’une grande brutalité : « il lança les cheveux dans un coin, remonta sa tunique et piétina la femme sur le ventre jusqu’à lui faire vomir la soupe qu’elle venait de manger, puis il posa une botte sur son visage, lui écrasant la pommette droite tout en exhortant le bourreau à être implacable ». Par ailleurs, le bon curé fait ce qu’il peut pour sauver son ouaille, le mari est dépassé par les événements, le bourreau n’est qu’un instrument aux mains de l’examinateur et l’évêque a un don pour couper la poire à peu près en deux, toujours au détriment des accusés. Reste que tous les protagonistes, sauf la condamnée, sont mus par une même logique infernale. Cette impression est créée avant tout par une narration qui multiplie les enchaînements et les chevauchements de situations. Et l’auteur a voulu encore accentuer le caractère d’inéluctabilité de l’action par de très longues phrases rythmées de virgules, se terminant par un point seulement à la fin d’un chapitre. Pourtant, alors que le corps d’Anna sera rompu par les sévices et que l’on croira son esprit lui aussi vaincu, elle aura une inspiration dont la force fera dévier, pour un temps, le torrent de la déraison.
En somme, un roman d’une grande maîtrise et fort bien traduit.