Sans conteste le plus prolifique des historiens du cinéma au Québec, Yves Lever avait déjà codirigé avec Pierre Hébert et Kenneth Landry un important Dictionnaire de la censure au Québec, Littérature et cinéma (Fides, 2006). Il est également l’auteur d’un ouvrage intitulé Histoire générale du cinéma au Québec (Boréal, 1995), qui demeure une référence. Son dernier livre, Anastasie ou la censure du cinéma au Québec, constitue l’étude la plus approfondie sur le contrôle moral effectué par l’État durant le XXe siècle. Il était alors tout aussi « normal » d’interrompre la télédiffusion d’un long métrage pour y introduire des publicités, comme on le pratique encore de nos jours, que de couper certaines séquences, quelques plans de certains films. Des citoyens protestaient ; d’autres trouvaient cette pratique légitime.
Les cas les plus célèbres de la censure sont ici évoqués avec une grande précision. Dans Hiroshima mon amour (1959) d’Alain Resnais, ce sont les plans où l’on pouvait apercevoir l’alliance de la femme infidèle qui ont été retranchés, car on y voyait la preuve flagrante de son infidélité dans les scènes d’amour, qui en soi ne devaient pas choquer le public de l’époque. La même année, le film Le troisième sexe (de l’ancien nazi Veit Harlan) fut interdit par la censure québécoise, avant de faire une sortie discrète en 1962. L’affiche du Théâtre national indiquait : « Un film qui présente pour la première fois un délicat problème social », bel euphémisme pour désigner qu’il y était question d’homosexualité.
Du même souffle, Yves Lever mentionne plusieurs cas de films censurés ou interdits dans leurs pays respectifs mais néanmoins acceptés sans problème par les censeurs québécois de l’époque : pensons à Viridiana (1964) de Luis Buñuel, qui avait causé un scandale en Espagne sous la dictature de Franco. Un autre de ses films, Belle de jour (1967), restera pendant deux mois sur les tablettes du Bureau de la censure du Québec, puis recevra la cote « 18 ans et plus » sans subir de coupure.
Il existait autrefois une adéquation apparemment fréquente entre censure et chef-d’œuvre, quand on repense aux films d’Ingmar Bergman ou de Luis Buñuel dont la circulation avait parfois été restreinte ; de nos jours, on constate que beaucoup de films parmi les plus controversés semblent vraiment mauvais, racoleurs ou vulgaires. C’est sans doute une preuve de plus que la censure reste étroitement liée aux mSurs et aux goûts de chaque époque.