Comment expliquer le mystère de l’amitié ? Ce choix mutuel où chacun adopte l’autre spontanément, sans toujours savoir pourquoi. « Parce que c’était lui ; parce que c’était moi », écrivait fort justement Montaigne.
Avec beaucoup de citations judicieusement choisies et d’anecdotes personnelles, le créateur de l’émission Apostrophes utilise comme point de départ ses propres amitiés pour tenter de les caractériser. Plusieurs cas de figure seraient possibles. Paradoxalement, certaines relations débutent maladroitement et se développent sinueusement pour devenir, au fil du temps, de véritables amitiés, par exemple lorsque Bernard Pivot décrit les étapes de sa relation amicale avec le philosophe Régis Debray, construite au long des années, ou encore avec l’écrivain Jean d’Ormesson, dans laquelle il aura expérimenté toute une gamme de sentiments opposés et apparemment irréconciliables. Tel un théoricien de l’amitié, l’auteur conceptualise ce terme, le distingue du copain, du camarade, du collègue, de l’amant ; il établit une typologie des liens amicaux : « l’ami intime », « l’ami chiant », l’ami beaucoup plus âgé, les couples amis d’un autre couple, et même « vos amis qui ne se soucient pas de vous ». Il décrit les circonstances uniques entourant la naissance d’une nouvelle amitié : « Une amitié commence par des élans ». En décrivant l’amitié, l’auteur évoque indirectement une forme d’intimité tout à fait distincte de l’amour et de la sexualité : « Après cinquante-sept ans d’amitié, l’un est entré pour la première fois dans la chambre de l’autre. Parce qu’il était étendu sur son lit de mort ».
Avec audace, Bernard Pivot s’invente au passage quelques amitiés imaginaires et impossibles avec des écrivains décédés comme, entre autres, Cicéron, la marquise de Sévigné ou Colette. Habilement, délicatement, avec sensibilité, il offre de très beaux aphorismes sur l’amitié, et c’est la force de son ouvrage : « le coup de foudre de l’amitié, ça arrive », ou encore : « l’amitié, c’est le cœur sans le corps ». Ce sont les petits trésors contenus dans ce livre de chevet, et l’on peut prédire que plusieurs de ces aphorismes seront un jour repris dans des dictionnaires de citations. Ce tour d’horizon exhaustif inclut même les amitiés littéraires, celles que les anglophones appellent prosaïquement des fanclubs, comme la Société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray. On aurait pu y ajouter les deux associations des amis d’André Malraux, qui n’ont pas toujours été en bons termes. On retrouve dans Amis, chers amis des qualités devenues trop rares : la bienveillance, l’humanisme, la pudeur et une certaine noblesse des sentiments. C’est un cadeau tout indiqué, soit à offrir à un ami cher ou à un nouvel ami qui se révèle, soit à recevoir…