« C’est le XXe siècle, le siècle du chien soldat. Ils sont ballottés comme des ludions. » Ces phrases, qui reviennent à plusieurs reprises dans le roman du jeune écrivain japonais Hideo Furukawa, né à Fukushima, évoque la passionnante épopée en même temps que la tragédie de l’instrumentalisation par les hommes de la gent canine. Car avant de devenir animal de compagnie, le « meilleur ami de l’homme » a trimé dur depuis le paléolithique.
Ici, c’est une race récente qui tient la vedette, à savoir le berger allemand. La grande aventure commence en 1943 sur une île japonaise. Quatre chiens sont abandonnés par l’armée nippone la veille d’une attaque américaine. Ils passent alors de maître en maître, dans une « destinerrance » mettant en lumière, à travers le déploiement de généalogies complexes, leurs incroyables stratégies de survie, leur loyauté et leur courage se voyant toutefois constamment trahis par les humains. Qu’à cela ne tienne ! On les retrouve alors, eux et leurs descendants, purs et métissés, nomades et sédentaires, entre grands systèmes politiques qui s’affrontent, dans des courses de traîneaux en Alaska, au cœur des alliances entre mafias russe et chinoise d’un côté, japonaise et tchétchène de l’autre, à la guerre de Corée, à la guerre froide, dans une orangeraie à la frontière mexico-étatsunienne, à Tahiti, bref en tout lieu de la Terre. Participant du vaste mouvement de réécriture de l’histoire du monde qui s’accentue depuis dix ans, le récit de Furukawa met donc en relation des tranches de l’humanité d’habitude soigneusement tenues à l’écart par les dominants. Mais surtout, il pose la question de savoir qui domine : la bête ou le souverain ?
Or malgré son intérêt narratif, Alors, Belka… demeure assez convenu, surtout si on le lit dans l’horizon d’une littérature japonaise qui participe d’une incroyable révolution culturelle et psychique et s’écrit maintenant sur les portables et négocie ses registres de fiction avec le manga. Manifestement rédigé en vue d’être adapté au cinéma avec des scènes à la James Bond (pour un peu et l’on aurait droit au découpage en séquences avec indications de plans), le roman annonce néanmoins la guerre totale qui est déjà commencée. Plus nous avançons, plus nous rencontrons d’humains qui n’hésitent plus à tuer leurs semblables.