Aller aux fraises regroupe, comme pour son précédent recueil Donnacona, trois nouvelles qui puisent à nouveau dans les souvenirs de l’auteur pour atteindre l’universel.
La nouvelle éponyme, celle qui amorce le recueil, se déroule à Cap-Santé, situé à quelques kilomètres de Québec d’où l’auteur est originaire. Le narrateur, un jeune de dix-sept ans, vient de terminer son secondaire et travaille comme pompiste dans un Petro-Canada. Une job d’été avant d’entreprendre son cégep à Thetford Mines où habite sa mère. Se dessine peu à peu la fin d’un monde, celui de la vie sous le toit paternel, des premières amitiés, de parties de pêche à la ligne où l’on écluse davantage de bières que l’on obtient de prises, et des premières amours, celles qui nous marquent pour la vie. Comme il le faisait dans sa trilogie 1984, Plamondon juxtapose maints éléments contextuels au déroulement de ses histoires : l’explosion de la navette spatiale Challenger, la catastrophe nucléaire survenue à Tchernobyl, sans oublier la restitution d’un bal de finissants, tel qu’il se déroulait dans les années 1980. Une fois le cadre établi, le véritable motif de la nouvelle émerge : le passage à l’âge adulte, la lente appropriation du sentiment de liberté qui provoque autant d’envie que de vertige : « J’ignorais encore, du haut de mes dix-sept ans, que dans très peu de temps il me faudrait pas mal plus que des décibels ou des sacs de chips pour avoir l’impression d’être libre ». Une embardée en voiture, qui aurait pu se terminer autrement plus dramatiquement, vient ici sceller ce saut dans l’inconnu en laissant au père le dernier mot lorsqu’il aperçoit le visage tuméfié de son fils : « On dirait que t’es allé aux fraises ». Le sens de la formule n’échappe pas à Plamondon.
La seconde nouvelle, « Cendres », appartient à ces histoires que l’on raconte aux veillées funéraires pour détendre l’atmosphère et honorer la mémoire du disparu. Partageant avec le conte la part d’invraisemblable qu’il nous faut accepter d’emblée pour en apprécier le déroulement, la nouvelle débute ainsi : « C’est mon père qui m’a raconté cette histoire. Ça commence à Saint-Basile, un village d’un peu plus de deux mille âmes… » Et nous voilà suspendus aux lèvres du conteur. Le vocabulaire, le ton sont en parfaite harmonie avec le fil de l’histoire, les personnages, le contexte, ici aussi enrichi d’éléments historiques qui ont marqué l’imaginaire collectif, tel l’assassinat de Kennedy en 1963. Tout commence autour d’une table de billard où se retrouvent de joyeux compères, Ti-Gilles, Small et Finger, qui cumulent à eux trois autant de prouesses sur le tapis vert que sur la table où s’entassent les bières qu’ils enfilent, les unes après les autres, entrecoupées de généreuses lampées de gin, jusqu’à ce que le foie de Ti-Gilles explose. Son dernier souhait : que ses cendres soient ramenées dans Charlevoix, au cimetière de Saint-Irénée. Ses deux amis lui en ayant fait la promesse, s’amorce le retour au pays natal en pleine tempête de neige. Ça circule beaucoup dans les nouvelles de Plamondon, de Donnacona à Thetford Mines en passant par Québec pour se rendre à Saint-Irénée. La promesse d’ivrogne sera tenue, avec une chute à la hauteur du nombre de bières englouties.
Dans la troisième et dernière nouvelle du recueil, « Thetford Mines », nous retrouvons le narrateur de la nouvelle éponyme dans la ville minière, où sa mère s’est fait un nouveau chum. Comme dans la nouvelle précédente, c’est en affrontant une tempête de neige que se révéleront à lui les grandes lignes du destin qui l’attend : « J’avais encore un an et demi à vivre à Thetford avant de décider de ce que je ferais du reste de ma vie. Tout était possible ».