Comme il le précise dans sa préface, l’auteur a décidé de se faire plaisir dans cet ouvrage : « En écrivant ce livre, je veux partager avec les lecteurs mes coups de cœur, et les inciter à ouvrir à leur tour les livres que j’ai appréciés ». Et son regard sur l’Acadie est celui d’un amoureux des lettres et du pays.
Les huit essais courent dans de multiples directions : le « multipiste » du titre, s’il émane du milieu de l’enregistrement, correspond bien à l’intention de l’auteur. Le sous-titre « Tradition et innovation » donne l’orientation des textes.
Même si Viau est avant tout un professeur de littérature, sa plume l’entraîne à porter son regard sur l’Acadie sur les plans culturel, social, politique et historique.
« Y’a jamais eu de Grand Dérangement » s’inspire d’une chanson du groupe néo-écossais Grand Dérangement et pose le problème de la perception de la Déportation pour la génération des années 1960 : « Pour la jeune génération, le passé n’est-il pas occulté par le tourbillon irrésistible de l’éphémère et du fugace ? » L’auteur s’interroge sur la place qu’il faut accorder à la mémoire, sans pour autant sombrer dans la nostalgie ou le regret. Pour lui, descendant de déportés, il est important de commémorer ce tragique événement. Il dresse l’inventaire des monuments commémoratifs et les décrit, cherchant à comprendre leur sens et la place qu’ils occupent dans la mémoire. Il conclut en affirmant que « le passé s’inscrit dans notre mémoire et participe à l’élaboration de notre avenir : nous sommes à la fois mémoire et projet ».
Cette réflexion l’amène à interroger la place de l’Acadie sur la scène internationale dans « Une ambassade à Paris », dans lequel il rappelle les étapes qui ont mené à une certaine reconnaissance de l’Acadie, qu’il juge cependant insuffisante.
Les autres essais offrent un éventail de textes sur certaines œuvres et leurs liens avec la société acadienne.
« Fils de martyrs, vous n’avez pas le droit d’être des renégats » analyse le rôle des pères eudistes dans l’éducation des Acadiens. Les Eudistes avaient fondé le collège Sainte-Anne à Pointe-de-l’Église (Nouvelle-Écosse) en 1892, qui est maintenant une université francophone. Il insiste particulièrement sur deux pièces de théâtre qui ont eu un impact : Subercase du père Alexandre Braud, créée en 1902 et écrite en alexandrins, « porte sur les dernières années de la domination française en Acadie » alors que Daniel d’Auger de Subercase était « le dernier et probablement le plus remarquable gouverneur de l’Acadie française ». Il analyse ensuite « Le drame du peuple acadien » du père Jean-Baptiste Jégo, créée en 1930 et qui raconte la Déportation. Dans les deux cas, une passionnante mise en contexte permet de saisir l’influence de ces pièces et le rôle qu’ont joué les Eudistes dans le développement de l’éducation en Acadie.
Avec « Félix-Antoine Savard et l’Acadie », l’auteur s’attarde sur quatre œuvres de ce grand écrivain qui s’inspirent de l’Acadie : Le barachois (1959), La folle (1960), Symphonie du Misereor (1968) et Les Acadiennes (2010). Il situe ces œuvres dans le cheminement de ses enquêtes en folklore, mais aussi parce que, comme l’avait écrit Gilles Marcotte, cité par Viau, « il savait y trouver des harmoniques à sa propre méditation ».
« Cri d’Acadie ou l’indispensable révolte » et « Acadie Rock & Road » lient l’émergence de la littérature acadienne au début des années 1970 et le bouillonnement que vit la société acadienne à ce moment-là. Le premier s’articule autour de Cri de terre de Raymond Guy LeBlanc, une œuvre phare qui inspirera toute une génération. Le second met en parallèle Acadie Rock (1973) de Guy Arsenault et Acadie Road (2018) de Gabriel Robichaud, une mise en relation que Robichaud avait appelée en affirmant qu’il avait écrit son recueil en hommage à Acadie Rock. Acadie Rock avait suscité un certain scandale tant par son contenu (une critique sévère du système d’éducation et de l’élite acadiennes) que par l’utilisation du chiac, une première en Acadie. Acadie Road continue Acadie Rock en dressant un portrait de l’Acadie d’aujourd’hui, ce qui incite Viau à écrire : « Jusqu’à quel point Gabriel Robichaud n’est-il pas devenu le porte-étendard de l’Acadie ? »
« De l’île à la page et de la page à l’île » rappelle l’importance de l’Île-aux-Puces dans l’œuvre d’Antonine Maillet. Viau aime l’œuvre de Maillet, à qui il a consacré Antonine Maillet : 50 ans d’écriture (2008), un ouvrage aussi imposant que nécessaire à qui veut mieux connaître cette œuvre.
Enfin, « Île réelle, île fictive, île identitaire » commente L’isle haute en marge de Grand-Pré (2017), un recueil de Serge Patrice Thibodeau. Ce qui intéresse Viau, c’est le lien qu’établit Thibodeau entre le mythe de l’Acadie et « la signification profonde de Grand-Pré ».
Viau est un excellent vulgarisateur, tout universitaire qu’il soit. Sa plume est vive et ses textes s’adressent à ceux et celles qui s’intéressent à la littérature et à la société acadiennes.