La modernité est un concept à la couenne dure, de sorte qu’il semble facile de s’y briser les dents. On dénonce parfois son caractère fourre-tout et sa récupération comme une marque à la mode, ou la rigidité de son utilisation, lorsque considérée en termes binaires de continuité/rupture, sur un mode dangereusement dichotomique. C’est d’ailleurs la crainte ressentie à la lecture du titre de l’ouvrage de David Lonergan, comme si la modernité acadienne naissait d’une génération spontanée et apparaissait de deux coups de baguette, un matin d’hiver 1972.
Tel n’est pourtant pas le cas et c’est bien en tant que processus qu’elle est appréhendée dans Acadie 72, petit ouvrage honnête et sans prétention sur l’éveil de l’Acadie. La date du titre renvoie à la publication, aux éditions d’Acadie, du recueil de poésie Cri de terre, de Raymond Guy LeBlanc. Lonergan s’efforce tout au long de son essai d’aller en amont de cet événement tenu pour emblématique de la modernité, afin de voir les divers soutènements qui lui ont présidé, tant dans la littérature, la chanson, le cinéma, que dans la société civile. Plusieurs artistes et événements marquants défilent, dont le dénominateur commun réside en une volonté d’« être de son temps » : Claude Roussel, Antonine Maillet, Jacques Savoie, Édith Butler, la fondation du Parti acadien, l’élection de Louis Robichaud (1960), l’adoption de la Loi sur les langues officielles (1969) et bien d’autres.
La facture d’Acadie 72 est quelque peu déstabilisante. S’agit-il d’un essai de sociologie, d’une anthologie ou encore d’un dictionnaire d’auteurs acadiens ? Sa composition emprunte à la biographie (Antonine Maillet) et à l’aspect didactique du « portrait d’artistes », alors que le titre laisse entendre des développements clairement sociologisants. À ce propos, la démonstration aurait été bonifiée par l’ajout d’un peu de tonus, si modeste fût-il, au terme demeuré vacant de « modernité ». Cela dit, probablement faut-il prendre le dernier Lonergan pour ce qu’il est : un livre grand public éclairant, simple, qui ratisse large et dont la volonté de faire découvrir une période cruciale pour l’éveil culturel et politique acadien n’est pas la moindre des vertus.